Le loup et le hérisson s’étoient réunis pour chasser ensemble. L’un devoit arrêter les chiens, les attirer à lui, et les combattre avec ses pointes, et l’autre, pendant ce temps, devoit saisir et emporter la proie. Un jour qu’ils chassoient ainsi, le loup trouva à enlever un agneau; mais il fut aperçu de loin par les bergers, qui aussitôt lâchèrent leurs chiens après lui. C’étoit au hérisson à les attendre : il n’en eut pas le courage, et supplia son compagnon de le tirer du danger. Celui-ci fit la sourde oreille : l’autre, insistant vainement, lui dit enfin : « Cher ami, il m’est bien douloureux de mourir ainsi sans pouvoir embrasser pour la dernière fois et ma femme et mes enfants. Puisque tu es sûr d’échapper, charge-toi à ma place de ce triste office, je t’en supplie. Approche et porte-leur au moins un baiser, comme le dernier gage de mon tendre attachement. »
Le loup, par une sorte de compassion, s’avança pour embrasser son ami, mais l’ami aussitôt le saisit à l’oreille avec une telle force, que l’autre fut, malgré lui, obligé de l’emporter. Cependant ce poids ralentissoit sa marche et donna aux chiens le temps de l’atteindre. Quand le hérisson vit qu’il alloit être pris, il le lâcha et grimpa sur un arbre qui étoit là auprès. Le loup alors le supplia de descendre et de venir à son secours.
Que Dieu t’aide, répondit l’animal aux épines; mais quand je t’ai prié de venir au mien, tu sais comme tu t’es conduit; tu m’as abandonné, je t’abandonne. Adieu, défends-toi, me voilà en sûreté, »
Notes :
On trouve dans Marie de France deux autres fables dont le sujet est en partie à-peu-près le même que celui qu’on vient de lire.
Dans l’une c’est un boeuf qui, surpris par un loup et prés d’être dévoré , lui demande pour toute faveur, avant de mourir, d’aller faire sa prière sur un tertre voisin , afin que sa famille puisse entendre ses derniers adieux. On le lui permet ; mais il se met alors a beugler d’une manière épouvantable , et attire vers lui les chiens qui étranglent le loup.
Dans l’autre, le principal personnage est une oie, saisie de même par un loup. Elle se plaint de ce qu’elle va périr tristement et sans joie, tandis que ses compagnes, destinées aux festins, y paraîtront au son des instruments de musique. Oh ! s’il ne faut que de la musique pour te consoler, réplique le loup, je suis en état de t’en fournir. Alors il se pose sur son derrière, il allonge le cou, et commence a chanter à sa manière. Mais, pendant ce temps, l’oie qu’il a lâchée s’envole. Honteux de sa sottise, il jure de ne plus chanter jamais que quand il aura bien mangé.
Ces fables sont imitées d’Esope. Seulement, au lieu d’un bœuf ou d’une oie, le fabuliste grec suppose un chevreau, et lui fait prier le loup de jouer de la flûte pour l’égayer avant de mourir. Le loup commence à chanter: les chiens accourent et le tuent. “Du Loup et du Hérisson”