Certain bourgeois tomba malade, et pendant quelques jours il se contenta de garder le lit, soigné uniquement par sa fille. Enfin cependant, comme il sentoit le mal empirer, il envoya chercher un médecin. Celui-ci le saigna, et il ordonna à la demoiselle de conserver le sang, afin qu’à son retour il pût voir, quand ce sang seroit refroidi, d’où la maladie provenoit. La fille, pour plus grande sûreté, alla porter l’écuelle dans sa chambre, et la posa bien couverte sur un banc. Mais l’instant d’après l’étourdie n’y songea plus, et la première chose qu’elle fit en rentrant chez elle, ce fut de tout jeter par terre.
Qu’imaginer en pareille circonstance pour éviter d’être grondée? Elle ne trouva rien de mieux que de se faire saigner elle-même par une autre personne, et quand le médecin reviendroit, de lui présenter ce sang en place de celui de son père. C’est ce qui arriva ; mais l’Esculape devina la tricherie et voulut en punir la donzelle. Il s’adresse au père : « Ce sang-là, dit-il, me donne pour vous de bonnes espérances, il m’annonce que bientôt vous aurez un enfant de plus. » A ces paroles le prud’homme reste interdit, et il l’est avec d’autant plus de raison qu’il étoit veuf. Il en demande l’explication. De son côté la fille rougit; enfin tout s’explique; et celle-ci, forcée d’avouer la vérité, convient qu’à trois mois de là l’horoscope du médecin doit s’accomplir.
Combien de gens qui, en voulant tromper les autres, ont été trompés eux-mêmes.
Notes :
“Envoya chercher un médecin qui le saigna.” L’art de la chirurgie étant très peu avancé au temps de notre fabuliste, il était exercé par les médecins. Ceux-ci portaient même ordinairement dans leurs visites un sachet rempli de drogues et des simples les plus usités, pour les administrer a l’instant au malade , s’il en avait besoin. “Du Médecin et de la Fille enceinte”