“Du Rat et de la Grenouille” – Dans le temps que la guerre était allumée entre les Grenouilles et les Rats, une Grenouille fit un Rat prisonnier, et lui promit de le traiter favorablement. Elle le chargea sur son dos pour faire le trajet d’une rivière qu’elle était obligée de passer pour rejoindre sa troupe. Mais cette perfide se voyant au milieu du trajet, fit tous ses efforts pour secouer le Rat et pour le noyer. Il se tint toujours si bien attaché à la Grenouille, qu’elle ne put jamais s’en défaire. Un oiseau de proie les voyant se débattre de la sorte, vint tout à coup fondre dessus, et les enleva pour en faire sa proie.
Autre version
” La Grenouille et le Rat “ – Un rat de terre, pour son malheur, se lia d’amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d’abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s’approchèrent du bord de l’étang. Alors la grenouille entrains le rat au fond, tandis qu’elle s’ébattait dans l’eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d’eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l’ayant aperçu, l’enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan.
Même mort, on peut se venger; car la justice divine à l’œil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute.
- Ésope Ve. ou VIe. siècle ?
De la Soris e de la Renoille
Selunc la lettre des escriz
Vus mustrerai d’une Suriz
Ki par purchaz è par engin ,
Aveit manaige en un mulin.
Par essemple cunter vus vueil ,
C’un jur s’asist desor le sueil,
Ses grenonez apareilla
E de ses piez s’espelucha.
Devant li passa une Raine
Si cum avanture la maine ,
Demanda li en sa raisun
S’ele ert Dame de la maisun,
Dunt ele se feiseit si mestre,
Si li acuntast de sun estre.
La Suris li respunt : Amie,
Pieça k’en ai la seingnorie ;
Bien est en ma subjectiun,
Qant ès pertuiz tut envirun ,
Puis herbregier è jur è nuit
Joer è fère mun déduit.
Or remanez à nuit od mei
Ge vus menrai par dreite fei,
Desous la muele mult à aise
Ni aurez rien ki vus desplaise.
Assez aurez ferine et grain
De ce ki remaint au Vilain ;(1)
La Raine i va par sa proière
Andeus s’asient sor la pierre,
Mult i truvèrent à mengier
Sanz cuntredit è sanz dangier.
La Suriz par amur demande
A la Raine de sa viande ,
Que li semble, vertei l’en die;
N’en mentiroi, fet-ele, mie,
Mult par est bien apareillié
S’en aive eust esté moillié.
Enmi ce préi en un wassel
Seriens or andels mun vueil ;
Là ai-jeo la moie mansiun
U tuz bien sunt à grant foisun.
Tant i arez joie è déduit
Jamès n’ariez talent ce cuit ,
De repérier à tun molin.
Tant li prumet par sun engin
Ke la blandist par sa parole,
K’ele la crut, si fist que foie ?
Ensamle od li s’en ert alée ,
Li preiz fu si plains de rousée
Ke tute est la Suriz moillée,
Dune quida bien estre noiée;
Arrière voleit returner
Kar ne pooit avant aler.
Mais la Raine lad rapelée,
Ki à force l’en ad menée.
Tant par amur, cum par proière,
Ke il vinrent à la rivière.
Dune ne pot la Suriz avant,
A la Raine dist en plurant,
Ci ne puis-jeo noient passer
Quar jeo ne soi unques noer.
Prens, fet la Reine, cel filet,
S’el lie fort à ton gairet
E ge l’atacherai au mien,
Dune la rivière passeruns bien.
La Suriz s’est dou fil loiée,
A la Raine s’est atachiée ;
El gué se metent, si s’en vunt;
Qant eles vindrent el parfunt
Si la vout la Raine noier,
Od li s’encumence à plungier.
La Suriz pipe en halt è crie
Ke bien cuideit estre traïe ;
Un Escoufles aleit volant
Vit la Soriz si haut pipant,
Ses èles clost, à-vaul descent ,
Li et la Raine ensanble prent,
Andeus furent au fil pendanz.
La Raine fu corsue et granz ;
Li Eschofles par cuveitise
La Soriz lait, la Raine ad prise,
Mengiée l’ad è dévourée,
È la Surir est délivrée.
MORALITÉ.
Si est des vézieus Féluns ,
Jà n’auront si buns cunpegnuns
Tant lor facent bien ne henor ,
Se riens lor deit custer dou lor ;
Ke durement ne soient liez
Se il par ax sunt engingniez,
Mais il ravient assez suvent
Ke de méisme le turment
K’as autres cuident purchacïer,
Funt à lor oës appareillier.
- Marie de France – (1160 – 1210)
Qui pense mal, mal luy advient.
Souvent reçoit pugnition
Celluy qui faict deception:
Qui contre aultruy quelque mal pense,
Il en reçoit la recompense.
Du Rat et de la Grenoille
Celluy qui tasche à decepvoir
Son prochain par quelque finesse,
Le mal qu’il vouloit concepvoir
Tumbe sur luy et sy le blesse;
Quiconcques son prochain oppresse
Et luy veult estre desloyal,
Son peché contre luy s’adresse;
Pour mal qu’il pense, luy vient mal,
Ainsi qu’à la Grenoille advint
Qui ne faisoit que mal penser.
Ung Rat devers elle s’en vint
Pour sur son corps la mer passer.
Tous deux se vont en mer lancer,
Et la Grenoille, en l’eaue plus forte,
Voulut leurs deux piedz entasser,
Et sur son dot ainsi le porte.
La Grenoille falacieuse
Voulut le Rat en mer plonger,
Et tant feit la malicieuse
Qu’es undes le feit submerger;
Sur elle tumba le danger,
Car une Escouffe en diligence
La vint dessirer et manger
Par droicte et bien juste vengeance.
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)
La Grenouille et le Rat
Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne soi-même.
J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui :
Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris,
Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême,
Sur le bord d’un marais égayait ses esprits.
Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain :
Il n’était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique Aquatique.
Un point sans plus tenait le galand empêché :
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brinc de jonc en fit l’affaire.
Dans le marais entrés, notre bonne commère
S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge-chaude et curée ;
(C’était, à son avis, un excellent morceau).
Déjà dans son esprit la galande le croque.
Il atteste les Dieux ; la perfide s’en moque.
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan qui dans l’air planait, faisait la ronde,
Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde.
Il fond dessus, l’enlève, et, par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut ; tant et si bien,
Que de cette double proie
L’oiseau se donne au cœur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.
La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
- Jean de La Fontaine 1621 – 1695
Le Rat et la Grenouille
Une Grenouille voulant noyer un Rat, lui proposa de le porter sur son dos par tout son marécage, elle lia une de ses pattes à celle du Rat, non pas pour l’empêcher de tomber, comme elle disait ; mais pour l’entraîner au fond de l’eau. Un Milan voyant le Rat fondit dessus, et l’enlevant, enleva aussi la Grenouille et les mangea tous deux.
De soi la trahison est infâme et maudite,
Et pour perdre un rival, rien n’est si hasardeux,
Quelque bien qu’elle soit conduite,
Elle fait périr tous les deux.
- Charles Perrault 1628 – 1703