Ne rendre mal pour bien
Ne fais ainsi que la Couleuvre,
Ne rendz le mal pour le bien faict :
Sy on te faict quelque bon œuvre,
Il doibt estre aussi satisfait.
Du Rusticque et de la Couleuvre
Ung laboureur et champestre rusticque,
En temps d’hyver, dessus la neige froide,
Trouva gisante en une voye oblique
Une Couleuvre à demy morte et royde.
Lors sa pitié il luy manifesta,
Pour la chauffer en l’hostel la porta ;
Mais, aussi tost que la chaleur sentit,
Par la maison elle se transporta,
Et par siffler tout le lieu infecta
Si malement qu’elle l’empuantit.
Le laboureur empoigne une coignée,
Et court après la Couleuvre tortue,
En la tensant l’a frappée et coignée ;
Mais peu s’en fault que ne le blesse ou tue.
« Est-ce (dist-il) la mercy et la grace
Que j’ay de toy ? Prens tu bien telle audace
De me tuer, et je fay donné vie ? »
Ô le grand mal quand on tue ou menasse
Celluy lequel tout son bien luy pourchasse !
Cela procède et vient d’ingrate envie.
“Du Rusticque et de la Couleuvre”
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)