Un Cerf se regardant dans une fontaine, fut charmé de la beauté de son bois ; mais ses jambes grêles et déliées ne lui plurent nullement. Pendant qu’il se contemplait et qu’il raisonnait en lui-même, un Chasseur survint tout à coup, accompagné de Chiens, en sonnant du Cor. Ce bruit obligea le Cerf à prendre promptement la fuite. Il devança les Chiens de bien loin en rase campagne, à la faveur de la légèreté de ses jambes. Mais le Chasseur le poursuivant toujours, le Cerf se cacha dans une forêt où ses cornes demeurèrent embarrassées aux branches des arbres. Alors il reconnut son erreur, et il comprit combien ses jambes déliées et souples lui étaient utiles pour le délivrer de ceux qui le poursuivaient ; et combien son bois, dont il avait tant admiré la beauté, lui était funeste, puisqu’il était la cause de sa mort.
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Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Un Cerf
Un jour un cerf eut soif, et vint à une fontaine pour se désaltérer. Voyant dans l’eau son image, il s’attrista de la finesse de ses jambes et s’enorgueillit de la magnificence et de l’élévation de ses cornes. Tout à coup des chasseurs s’élancent à sa poursuite ; il s’enfuit devant eux, et tant qu’il est en plaine, ils ne peuvent l’atteindre. Mais dès qu’il entra dans la montagne et passa au milieu des arbres, les chasseurs l’atteignirent et le tuèrent.
Au moment de mourir, il dit: « Malheureux que je suis, ce que j’ai méprisé pouvait me sauver, ce sur quoi je comptais m’a perdu. ».
- Luqman (Locman ou Loqman) XIe siècle av. J.-C.
Le Cerf se voyant dans l’eau
Dans le cristal d’une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu’avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d’honneur.
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier le fait partir ;
Il tâche à se garantir ;
Dans les forêts il s’emporte. Son bois, dommageable ornement,
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile ;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)