“D’un Homme qui avait deux Femmes” – Un Homme nourri dans les délices, et qui était encore dans la force de son âge, ni trop vieux, ni trop jeune, quoique ses cheveux commençassent déjà à grisonner, s’avisa d’épouser deux femmes, dont l’une approchait de la vieillesse, et l’autre était encore dans la fleur de la jeunesse. Ils demeuraient tous trois dans la même maison. La plus âgée voulant se faire aimer de son mari, par la proportion de l’âge, lui arrachait poil à poil tout ce qu’il avait de cheveux noirs. La plus jeune qui voulait aussi avoir part à la tendresse de son mari, lui arrachait de son côté tous les cheveux blancs. De sorte que ces deux femmes en continuant chaque jour cet exercice, le rendirent entièrement chauve, et il devint la fable de tout le monde.
Autre version :
” Un grison avait deux maîtresses “ – Un grison avait deux maîtresses, l’une jeune et l’autre vieille. Or celle qui était avancée en âge ayant honte d’avoir commerce avec un amant plus jeune qu’elle, ne manquait pas, chaque fois qu’il venait chez elle, de lui arracher ses poils noirs. La jeune, de son côté, reculant à l’idée d’avoir un vieux pour amant, lui enlevait ses poils blancs. Il arriva ainsi qu’épilé tour à tour par l’une et l’autre, il devint chauve.
C’est ainsi que ce qui est mal assorti occasionne toujours des désagréments.
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Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
L’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses
Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu’il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant
De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
Bien adresser n’est pas petite affaire.
Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part :
L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu’avait détruit la nature.
Ces deux Veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L’allaient quelquefois testonnant,
C’est-à-dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m’avez si bien tondu ;
J’ai plus gagné que perdu ;
Car d’ Hymen point de nouvelles*.
Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n’est tête chauve qui tienne*,
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)