Épître dans laquelle on retrouve “Le Lion et le Rat”.
A son amy LYON , 1526.
Je ne t’escry de l’amour vaine, et folle,
Tu veois assez, s’elle sert, ou affolle :
Je ne t’escry ne d’armes, ne de guerre,
Tu veois, qui peult bien, ou mal y acquerre :
Je ne t’escry de fortune puissante,
Tu veois assez, s’elle est ferme, ou glissante:
Je ne t’escry d’abus trop abusant,
Tu en sçais prou, et si n’en vas usant :
Je ne t’escry de Dieu, ne sa puissance,
C’est a luy seul t’en donner congnoissance:
Je ne t’escry des dames de Paris,
Tu en sçais plus, que leurs propres marys:
Je ne t’escry , qui est rude, ou affable.
Mais je te veulx dire une belle fable:
C’est à sçavoir du lyon, et du rat.
Cestuy lyon plus fort, qu’un vieil verrat,
Veit une foys, que le rat ne sçavoit
Sortir d’un lieu, pour autant qu’il avoit
Mengé le lard ‘, et la chair toute crue :
Mais ce lyon (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen, et maniere, et matiere
D’ongles et dentz, de rompre la ratiere:
Dont maistre rat eschappe vistement:
Puis meit à terre un genouil gentement,
Et en estant son bonnet de la teste ,
A mercié mille foys la grand’ beste:
Jurant le dieu des souris, et des ratz,
Qu’il luy rendroit. Maintenant lu verras
Le bon du compte. Il advint d’adventure
Que le lyon pour chercher sa pasture,
Saillit dehors sa caverne, et son siege:
Dont (par malheur) se trouva pris au piege,
Et fut lié contre un ferme posteau.
Adonc le rat sans serpe, ne cousteau,
Y arriva joyeux, et esbaudy,
Et du lyon (pour vray) ne s’est gaudy :
Ma isdespita chaiz, chates, et chatons.
Et prisa fort ralz, rates, et ratons,
Dont il a voit trouvé temps favorable
Pour secourir le lyon secourable :
Auquel a dict, Tais toy lyon lié,
Par moy seras maintenant deslié:
Tu le vaulx bien, car le cueur joly as,
Bien y parut, quand tu me deslias.
Secouru m’as fort lyonneusement,
Or secouru seras rateusement.
Lors le lyon ses deux grans yeulx vestit,
Et vers le rat les tourna un petit
En luy disant, O povre verminiere,
Tu n’as sur toy inslrument ne manière ,
Tu n’as cousteau, serpe ne serpillon,
Qui sceust coupper corde ne cordillon,
Pour me jecter de ceste etroicte voye :
Va te cacher, que le chat ne te voye.
Sire lyon ( dit le filz de souris)
De ton propos ( certes ) je me soubzris :
J’ay des cousteaux assez, ne te soucie.
De bel os blanc plus treuchans, qu’une scie :
Leur gaine c’est ma gencive et ma bouche :
Bien coupperont la corde, qui te touche
De si trespres : car j’y mettray bon ordre.
Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vray est, qu’il y songea
Assez long temps, mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu’à la parfin tout rompt.
Et le lyon de s’en aller fut prompt,
Disant en soy : Nul plaisir (en effect)
Ne se perd point quelque part ou soit faict.
Voyla le compte en termes rithmassez:
Il est bien long, mais il est vieil assez,
Tesmoing Esope, et plus d’un million.
Or vien me veoir pour faire le lyon,
Et je mettray peine, sens, et estude
D’estre le rat, exempt d’ingratitude :
J’entens , si Dieu te donne autant d’affaire,
Qu’au grand lyon : ce qu’il ne vueille faire.
* Marot écrivit en 1525, de la prison du Châtelet à Paris, cette fable si ingénieuse à Lyon Jamet, son ami, pour l’engager à venir travailler à sa délivrance. (Voyez l’Essai sur la vie et les ouvrages de Clément Marot.)
Le Lion et le rat, de Jean de La Fontaine
Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d’un lion
Un rat sortit de terre assez à l’étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était et lui donna la vie .
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu’un aurait-il jamais cru
Qu’un lion d’un rat eût affaire ?
Cependant il advint qu’au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Une imitation du Lion et du Rat par Patrick Lanciot, fabuliste du XXIe. siècle:
Le Lion et le Rat, de Patrick Lanciot
Variation avec rimes originales.
Quelle fut la stupeur quand on sut dans Le Monde
Que le grand roi lion perdit son quant-à-soi,
Devant un petit rat, si l’article est de foi,
En tombant dans l’égout où ce rongeur abonde.
Ce dernier, souterrain, ne connaît le lion,
Mais voit Sa Majesté par la chute étourdie.
Quelle belle crinière et belle occasion
De ronger un tel crin une fois dans sa vie !
Qui donc chez le coiffeur pleure son bien perdu ?
Portant un don d’artiste, or que nul ne l’eut cru,
Le rat en moins de deux termina son affaire
Présumant de complaire au Seigneur des forêts.
Quand s’éveille le roi, sur la tête des rets,
Il ne sait ni pourquoi, ni comment s’en défaire.
« J’ai, dit le rat au Sire, utilisé mes dents,
Et crois modestement avoir fait bel ouvrage. »
Au miroir lui paraît, dans un arrêt du temps,
Une coupe de punk qui va seoir à sa rage.
Patrick Lanciot, fabuliste contemporain