Je t’aime, ô vérité ! mais ton éclat me blesse ; *
Eclaire-moi sans m’affliger ;
Que ton flambeau propice à ma foiblesse
Ne brille qu’à travers un nuage léger.
Ainsi pensoit le sage Ésope.
D’un tissu délicat de voiles transparents,
Censeur adroit, il enveloppe
La morale du peuple et la leçon des grands.
La Fontaine !… dieux ! La Fontaine !
Dès qu’il parut au double mont,
On vit tous les lauriers qui bordent l’Hypocrène
S’agiter, se pencher, et couronner son front.
A la nature, à la raison fidèle,
Toujours peintre, jamais auteur,
Il eut Ésope pour modèle,
Et n’aura point d’imitateur.
Leurs fables sont des comédies ;
Les acteurs sont les animaux.
Mortels, accourez tous, et dans leurs parodies,
Venez voir vos erreurs, vos vices, vos défauts.
Ici paroît l’agneau timide,
Victime d’un loup ravissant ;
Cette scène est pour l’homme avide,
Lâche oppresseur de l’innocent.
Là, jouet de la flatterie,
Un corbeau gémit, mais trop tard :
Combien de sots dans ma patrie
Sont dupés par plus d’un renard !
Tantôt, un baudet ridicule
Fait le brave, il respire et sièges et combats :
Que de poltrons disent tout bas :
C’est moi que l’on a peint dans ce plaisant Hercule.
Tantôt, après des efforts et des cris,
Que renvoyoient au loin mille échos emphatiques,
Une montagne en couche enfante… Une souris :
Rimailleurs boursouflés, prosateurs hydropiques,
Ou je me trompe, ou voilà vos écrits.
Un geai se pare avec audace
Du plumage éclatant de l’oiseau de Junon :
Plagiaire effronté, vil rebut du Parnasse,
Au bas de cette fable on met d’abord ton nom.
C’est par cette heureuse magie
Que, prêtant notre esprit aux animaux divers,
La Fontaine et l’esclave, honneur de la Phrygie,
Dans leurs drames charmants instruisent l’univers.
Moralistes chagrins et de Rome et d’Athènes,
Et vous leurs descendants,
Tristes pédants
De la Tamise et de la Seine,
M’ennuîrez-vous toujours, sans me rendre meilleur ?
Une fable d’Ésope ou du bon La Fontaine
Amuse mon esprit et corrige mon cœur.
* Cette pièce est extraite de l’almanach des Muses, année 1775. Elle avoit déjà paru sous le titre de “Vers sur Esope” dans le tome Ier des Opuscules de l’auteur, publiés en 1763. Mais Fréron n’y avoit pas encore donné la dernière main, et l’on n’y trouvoit point le portrait de La Fontaine ni beaucoup d’autres vers très heureux que le goût de l’auteur lui inspira depuis.
(Poésies diverses d’Antoine Rambouillet de la Sablière, et de François de Maucroix, et hommages poétiques a la Fontaine: avec les vies de la Sablière et de Maucroix, des notes et des éclaircissements… Chez A. Nepveu, Libraire, 1825.)