Analyse littéraires sur “Fable de la Besace ” – B. Van Hollebeke, 1855
Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire
S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur 1 :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.—
Venez, singe 2 ; parlez le premier, et pour cause 3 :
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait? moi, dit-il; pourquoi non 4?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché :
Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché 5 ;
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre.”
L’ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre
1 Début majestueux, digne de Jupiter. (Guillon.)
2 Croyant que c’est par crainte que personne ne prend la parole, il va jusqu’à engager en particulier chaque membre de rassemblée à s’approcher de lui. Il devra naturellement s’adresser à ceux que la nature a le moins favorisés.
3 Pour cause. Jupiter croit que de tous les animaux le singe est celui qui doit trouver le plus à redire à son composé. (Solvet.)
Qu’on se rappelle le proverbe : Laid comme un singe.
4 Le singe représente ici un présomptueux. Sa prononciation est lente, il fait l’aimable et le spirituel, a le sourire de la satisfaction de soi-même, se pose et s’écoute quand il parle. (Duquesnois.)
5 Ce mot est d’autant mieux choisi que l’ours, en réalité, semble n’offrir qu’une ébauche de création.
6 II s’allait plaindre. L’emploi du pronom régime devant le premier verbe est ordinaire dans La Fontaine. « Je me vas désaltérant; » « Il vous faut purger » etc., etc.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort;
Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourrait eucor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une niasse informe et sans beauté.
L’éléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était 7, dit des choses pareilles :
Il jugea qu’à son appétit 8
Dame haleine était trop grosse.
Dame fourmi9 trouva le ciron 10 trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin 11 les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste, contents d’eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx 12 envers nos pareils, et taupes 13 envers nous,
7 Remarque excellente, faite pour insinuer que les plus raisonnables partagent la même folie.
8 Appétit est pris ici dans le sens de goût, opinion. Cette acception figurée est maintenant hors d’usage. (Lorin.)
9 Dame baleine, dame fourmi. Ne dirait-on pas que ce sont des animaux de même espèce? Il est si facile à l’orgueil de franchir l’intervalle! (Guillon.)
10 Un des insectes les plus petits, de la famille des parasites.
11 Jupin, familier pour Jupiter.
12 Lynx, animal d’Afrique d’un fauve clair, avec des taches brunes et des pinceaux de poils à l’extrémité des oreilles. C’est un mammifère digitigrade, du genre du chat, qui a la vue extrêmement perçante.
Proverbe : Avoir des yeux de lynx; et figur., voir clair dans les affaires, dans les desseins, dans les pensées des autres.
Au vers précédent, tout ce que nous sommes est mis pour/oui, tant que nous sommes.
13 proverbe: Ne voir pas plus clair qu’une taupe, ne voir pas bien, d’après l’opinion populaire que la taupe n’a point d’yeux.
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le fabricateur 14 souverain
Nous créa besaciers 15 tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui 16.
14 Le fabricateur. Ce mot est nouveau, dans son application. Il y a un grand nombre de substantifs de la même terminaison qui prennent ainsi chez La Fontaine une signification plus étendue que celle qui leur est donnée par les dictionnaires : examinateur, entrepreneur, compteur, etc. (Marty-Laveaux.)
15 Porteurs de besaces. (Walckenaer.)
Nous créa besaciers, c’est-à-dire, nous donna les besaces dont
parle la fable; hardiesse originale et plaisante.(Nodier.)
On attribue généralement à La Fontaine l’invention du mot besa-cier, qui du reste est ici employé d’une manière très-heureuse.
(Lorin.)
16 Le germe de cet apologue se trouve dans Esope et dans Phèdre. La Fontaine doit le sujet au premier et la moralité à l’autre. Avien lui a fourni la scène du singe, mais tous les détails lui appartiennent.
[Guillon.)
Souvent le litre de la fable nous révèle le sujet. Il n’en est pas de même ici. La Fontaine s’est trouvé embarrassé dans son choix. Le titre d’Avien, Jupiter et le Singe, ne pouvait convenir; car tous les animaux, qui entrent comme acteurs dans ce petit drame, ont un rôle d’une égale importance. Notre fabuliste n’a pas voulu non plus intituler sa fable : Des défauts des hommes. Ce titre abstrait et frondeur ne lui plaisait pas; il convenait à l’humeur rigide de Phèdre. Le bonhomme laisse à d’autres le rire amer; sa moquerie à lui est toujours légère et calme.
(Fable de la Besace analysée)
- Fable analysée par B. Van Hollebeke, édition 1855.