Jupiter dit un jour : “Que tout ce qui respire
S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.
Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Etes-vous satisfait? – Moi ? dit-il, pourquoi non ?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;
Mais pour mon frère l’Ours, on ne l’a qu’ébauché :
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. ”
L’Ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort
Glosa sur l’Eléphant, dit qu’on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une masse informe et sans beauté.
L’Eléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles.
Il jugea qu’à son appétit
Dame Baleine était trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron* trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste, contents d’eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
Autres analyses:
- Analyse littéraires sur « Fable de la Besace » B. Van Hollebeke
- Fable La Besace analysée par MNS Guillon
- La besace, analysée par Clodomir Rouzé
- La Besace analysée par Charles Hygin-Furcy
- Questions sur la fable : La Besace – B. Van Hollebeke
Commentaires de Chamfort, 1796
La Fontaine, pour nous dédommager d’avoir fait une fable aussi mauvaise que l’est la précédente , lui fait succéder un apologue excellent, où il développe avec finesse et avec force, le jeu de l’amour-propre de toutes les espèces d’animaux , c’est-à-dire de l’homme, dont l’espèce réunit tous les genres d’amour-propre.
On ne finirait pas si l’on voulait noter tous les vers heureux de cette fable.
V. 23. Dame fourmi trouva le ciron trop petit.
V. 28. Linx envers nos pareils et taupes envers nous.
Et les deux derniers vers.
C’est donc la faute de Jupiter, si nous ne nous apercevons pas de nos propres défauts. Esope, que Phèdre a gâté en l’imitant, dit, et beaucoup mieux, chaque homme nait avec deux besaces, etc. De cette manière, la faute n’est point rejetée spécialement sur le fabricateur souverain. La Fontaine aurait mieux fait d’imiter Esope que Phèdre en cette occasion. (La Besace)
Analyse de Mns Guillon, 1803
(1) L’expression simple, la mesure lente, le rithme harmonieux de ces premiers vers, rendent le début noble et tel qu’il convenoit à la majesté du plus puissant des Dieux, du fabricateur souverain.
(2) Et pour cause. Un fabuliste anglois, M. Merrick, a expliqué cette cause par une fable ou allégorie, dans le style des Métamorphoses d’Ovide. a Jupiter avoit changé en Singes une race d’hommes indignes de ce nom ; touchés de repentir, les coupables prièrent le dieu de leur rendre les traits de l’homme et l’usage de leur raison; Jupiter ne voulut leur accorder qu’une partie de leur prière ; il leur refusa la raison , mais leur donna le premier rang après l’homme.» On sait que J. J. Rousseau hésite de prononcer si l’Orang-Outang n’est pas un homme.
(3) Cette scène est animée par une gaîté de style également éloignée de la recherche et de la satyre. Que d’esprit dans ces rapprochements dame Baleine, dame Fourmi? Ne diroit-on pas que ce sont des animaux de même espèce ; mais il est si facile à l’orgueil de franchir l’intervalle ! …lire la suite…
ANECDOTE
– C’est une autre lamie, laquelle en maisons estranges voyant plus pénétrament qu’un lince, en sa maison propre estoit plus aveugle que taulpe. » Rabelais, liv. IV, chap. v.