Pañchatantra ou fables de Bidpai
2e. livre – II. — Histoire d’Hiranyaka
Il y a dans la contrée du Sud une ville appelée Mahiiâropya. Pas très-loin de cette ville est un couvent du vénérable Maheswara. Là habitait un religieux mendiant, nommé Tâmratchoûda. Ce religieux mendiait dans la ville ; il recevait beaucoup d’aliments préparés, revenait au couvent et prenait sa nourriture. Il mettait là le reste des aumônes dans un pot à aumônes, et pendait ce pot à une cheville, et ensuite il dormait. Le matin, il donnait ces aliments aux travailleurs, et ordonnait là dans la maison du dieu le nettoiement, l’enduit avec la bouse de vache, l’embellissement et autres travaux. Mais un jour mes serviteurs me dirent : Maître, dans le couvent de Tâmratchoûda il y a toujours une grande quantité d’aliments préparés pendue à une cheville. Nous ne pouvons pas les manger ; mais pour le maître il n’est rien d’inaccessible. A quoi donc sert-il de rôder ailleurs ? Aujourd’hui allons là et mangeons tant qu’il nous plaira, par ta grâce. A quoi bon nous fatiguer inutilement ailleurs ?
Après avoir entendu cela, j’allai à l’instant même à ce couvent, entouré de toute la troupe, et d’un saut je montai dans le pot à aumônes. Là je donnai pour nourriture à mes serviteurs d’excellents mets de riz cuit, et après je mangeai moi-même.
Lorsque nous fûmes tous rassasiés, nous retournâmes à notre demeure. Je mangeais ainsi toujours ces aliments avec ma suite. Le religieux mendiant gardait autant qu’il le pouvait ; mais quand il était tombé dans le sommeil, alors je montais là et je faisais mon affaire. Un jour il apporta pour se garder contre moi un grand bambou fendu. Tout en dormant il frappait, par crainte de moi, avec ce bambou sur le pot à aumônes, et moi, par crainte des coups, je me retirai sans même avoir mangé des aliments. Je passai ainsi, pendant toute la nuit, le temps à lutter avec lui. Mais un autre jour un religieux mendiant nommé Vrihatsphik, son ami, qui voyageait en pèlerinage vers les lieux saints, vint comme hôte dans le couvent. Dès que Tâmratchoûda le vit, il se leva suivant la règle pour lui rendre honneur, lui témoigna respect et s’acquitta des devoirs de l’hospitalité. Puis, dans la nuit, les deux religieux, couchés ensemble sur un lit, se mirent à parler de la vertu. Mais pendant les entretiens éloquents de Vrihatsphik, Tâmratchoûda, dont l’esprit était distrait par la crainte qu’il avait de moi, frappant avec le bambou fendu sur le pot à aumônes, lui donnait des réponses vides de sens et ne lui racontait rien. Alors l’hôte se mit en très-grande colère et lui dit : Hé, Tâmratchoûda ! je vois bien que tu n’es pas un ami ; voilà pourquoi tu n’as pas de plaisir à parler avec moi. Aussi maintenant, quoiqu’il soit nuit, je vais quitter ton couvent et m’en aller ailleurs. Car on dit :
Viens, approche, assieds-toi sur ce siège ; pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis longtemps ? Comment te portes-tu ? Tu es très-faible, bonheur à toi ! Je suis joyeux de te voir : on doit toujours aller le cœur sans crainte dans la demeure de ceux qui réjouissent ainsi les hôtes avec affection et respect.
Et ainsi :
Là où le maître de maison, en voyant un hôte, regarde au ciel ou à terre, ceux qui vont dans cette maison sont des taureaux sans cornes.
Et en outre :
Là où on ne se lève pas de son siège, où il n’y a ni paroles douces ni entretiens sur le bien et le mal, on ne va pas dans la demeure de celui-là.
Tu es enorgueilli par la seule possession d’un couvent. Alors où est l’affection d’ami ? Tu ne sais pas que sous le déguisement de la vie de couvent on gagne l’enfer. Et l’on dit :
Si tu veux aller en enfer, exerce les fonctions de prêtre de famille pendant un an. Que faut-il autre chose ? Le soin d’un couvent pendant trois jours.
Ainsi, fou, tu es fier d’une chose dont on doit s’affliger.
Après avoir entendu cela, Tâmratchoûda, le cœur saisi de crainte, lui dit : Vénérable, ne parle pas ainsi. Je n’ai nulle part un ami pareil à toi. Ecoute donc le motif pour lequel la conversation languit. Ce méchant rat saute et grimpe au pot à aumônes, bien que ce pot soit placé dans un endroit très-élevé, et il mange le reste d’aliments qui s’y trouve. A cause du manque de ces aliments, on ne fait dans la maison du dieu ni nettoiement ni autres travaux. Aussi, pour effrayer le rat, je frappe à chaque instant avec ce bambou sur le pot à aumônes. Il n’y a pas d’autre motif. Mais vois ce qu’il y a de merveilleux dans ce méchant : il surpasse même les chats, les singes, et cetera, par son saut. — Mais, dit Vrihatsphik, lui connaît-on un trou dans quelque endroit ? — Vénérable, répondit Tâmratchoûda, je ne sais pas au juste. — Assurément, dit Vrihatsphik, son trou est sur un trésor ; c’est le feu du trésor qui le fait sauter. Car on dit :
Le feu que donne la richesse augmente l’éclat des vivants ; mais, avec la jouissance de celle richesse, la libéralité accompagnée des œuvres fait plus encore.
Et ainsi :
Ce n’est pas sans motif que la femme de brahmane Sândilî échange du sésame mondé contre de l’autre, car il doit y avoir à cela une cause.
Comment cela ? dit Tamratchoûda. Vrihatsphik dit :
“Histoire d’Hiranyaka”
- Panchatantra 24