Un petit moucheron, en s’élevant dans l’air,
En son vol aveuglé par une épaisse nue,
Atteignit en suivant une route inconnue
Jusqu’au trône de Jupiter.
Les dieux surpris de sa visite
Allaient le chasser au plus vite,
Et Mercure et l’Amour de Paphos arrivés,
De leur siège s’étant levés,
S’apprêtaient à saisir l’impertinente bête
Pour l’écraser entre leurs doigts,
Quand Jupiter levant la tête
Leur dit avec sa grande voix :
Arrêtez, ô mortels, ou craignez ma colère !
Car le sang d’un ciron est aussi précieux
Pour les dieux immortels que celui d’un Homère.
On obéit au roi des cieux.
Mercure regagne son siège,
Et le vil animal, tout fier du privilège
De bourdonner parmi tout un peuple de dieux,
S’en va se poser sur l’oreille,
Même sur le nez de Junon,
Et pique Vénus au talon.
De cette insulte sans pareille
Le maître courroucé, veut écraser enfin
La téméraire créature,
Qui de ce sang divin faisait sa nourriture.
Mais en levant le pied, Jupin
Sous ses genoux posé heurta notre hémisphère,
Et par ce choc toute la terre
Sentit un affreux craquement
Jusqu’en ses entrailles profondes.
L’océan déborda, ses ondes
Envahirent l’Europe immense entièrement.
Cent fameuses cités couvrirent de ruines
Tout un côté de l’univers.
Jamais le sein profond des mers,
Le feu, la guerre, les famines,
Ne virent tant de morts — et tout ce mal fut fait
Par un vil avorton, misérable chimère.
D’une cause bien éphémère
Sort quelquefois un grand effet !
“Jupiter et le Moucheron”