Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – Jupiter et le Métayer
Etudes et analyses de Jupiter et le Métayer, par Pierre Louis Solvet
- Jupiter et le Métayer.
Faërne, fable 98
L’idée de rendre sensible par une Fable, que la Providence sait ce qu’il nous faut mieux que nous, est très-morale et très-philosophique; mais je ne sais si le fait par lequel La Fontaine veut la prouver, est vraisemblable. Il parait certain que le laboureur qui disposeront des saisons aurait un grand avantage sur ceux qui sont obligés dé les prendre comme elles viennent, et qu’il consentirait volontiers a laisser doubler ses baux à cette . condition. A cela près, la Fable est très-bonne. (Ch.)
V. 1. Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure en fil l’annonce. ……..
” Le crieur des Dieux,c’est Mercure ; c’est un de ses ” cent métiers. » (Psyché , liv. 2.)
V. 13. Enfin du sec et du mouillé, Aussitôt qu’il aurait baillé.
Baillé, pour passé bail. Un goût sévère critiquerait peut-être ces deux vers, comme trop familiers et voisins du bas. (Ch.)
V. 15. Tranche du roi des airs, pleut, vente, etc.
Ces mots, pleut, vente, pour dire : fait pleuvoir,
fait venter ne sont pas français en ce sens. Ce sont des verbes que les grammairiens appellent impersonnels, parce que personne n’agit par eux ; mais La Fontaine a si bien préparé ces deux expressions par ce mot tranche du roi des airs, que ces mots pleut, vente, semblent en cette occasion si naturels et si nécessaires, qu’il y aurait de la pédanterie à les critiquer. L’auteur brave la langue, et a l’air de l’enrichir. Ce sont de ces fautes qui ne réussissent qu’aux grands maîtres (1). (Ch.)
V. 31. Concluons que la Providence
Sait ce qu’il nous faut, mieux que nous.
« Hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au ciel le soin des choses qu’il nous faut! » (Mot. Festin de Pierre, acte 5, scène 6.)
Dans Faërne, et ceux de ses imitateurs, tels que Targa et Verdizoti, qui ont précédé La Fontaine, le Métayer, après la première épreuve, se remet à la discrétion de Jupiter, qui lui lait ouvrir les yeux par la manière dont il en use avec lui l’année suivante. Chez La Fontaine, le fermier tente une seconde expérience qui ne lui réussit pas mieux, et chaque fois, il a pour objet de comparaison ce qui se passe dans le champ de son voisin. Ces deux nouveaux incidents,de l’invention de notre fabuliste, sont fort ingénieux, en ce qu’ils tendent à prouver, de plus, que la présomption entraîne toujours l’entêtement et l’aveuglement à sa suite.
(1) De même Marmontel (Autorité de l’usage sur la Langue), parlant de Montaigne, Amyot, La Fontaine et Racine : « Leur langue est conquérante, dit-il ; elle prend les tours et les formes des langues éloquentes et poétiques, qu’elle a pour adversaires, comme les Romains empruntaient les armes de leurs ennemis. « Et notez qu’ici particulièrement, le mot pleut se trouve employé dans le même sens qu’en latin dans la Fable de Faërne, sur le même sujet.
“Fable Jupiter et le Métayer : morale et analyse”
- Études sur La Fontaine, ou notes et excursions littéraires sur ses fables – P. Louis Solvet, Chez Grabit, 1812