Sa majesté dame baleine
Sous son ample épaisseur faisant trembler les mers,
Croisoit la côte amériquaine ;
Elle occupe un arpent de la liquide plaine,
Et ses cris mugissans épouvantent les airs.
Quelle est ma grandeur, disoit-elle !
Les habitans des mers me sont assujettis :
Soit crainte, soit amour, mon peuple m’est fidèle ;
Je le mange à mon choix, sans trouver un rebelle ;
Je vais de pair avec Thétis.
Contentez-vous, messieurs les hommes
D’oser porter la guerre aux autres animaux.
Si vous êtes leurs rois, apprenez que nous sommes
Vos souverains, vous nos vassaux.
Dame baleine ainsi, de bravade en bravade,
Continuoit sa promenade.
Un céladon amériquain
Sur le rivage alors poursuivoit son Astrée ;
Il vouloit l’attendrir ; hélas ! C’étoit en vain ;
La belle pour tout prix de s’en voir adorée,
Ne lui rendoit que froideur, que dédain.
Quoi ! Dit-il ; toûjours insensible !
À quel prix donc vous mettez-vous ?
Parlez ; je ferai l’impossible.
Soit, lui dit-elle ; engageons-nous ;
Mais à condition, pour vous prendre à la lettre,
Qu’à mes pieds vous allez remettre
Ce monstre qui nous brave tous.
L’amant rêve, médite avant que de promettre ;
Puis trouvant ce qu’il a cherché,
À la clause, dit-il, il faut bien se soûmettre ;
Allons, c’est vous avoir encor à grand marché.
Il se munit de sa massuë,
De deux tampons de bois ; et voilà l’homme à l’eau.
Conduit par son espoir nouveau,
Des ses deux bras nerveux il fend la mer émuë,
Aborde la baleine, et sans civilité
Grimpe au dos de sa majesté.
De ses mugissemens elle fait trembler l’onde,
Non pas l’amant : en vain de ses nazeaux,
Comme rapides traits elle lance les eaux ;
Il prend son temps le mieux du monde :
De sa massuë il enfonce un tampon
Dans un nazeau, puis l’autre ; il vous la coule à fond :
Elle étouffe, et sur le rivage
Notre nouveau Bellérophon
Revient triomphant à la nage.
Les flots secondant son ardeur,
Poussent le monstre mort sur les pas du vainqueur.
C’est ainsi que périt la premiere baleine ;
Sa rodomontade fut vaine.
Le plus fort a son foible. Encor un autre point.
Les passions font tout en tous tant que nous sommes ;
Reglons-les seulement ; ne les étouffons point ;
Elles ont tout appris aux hommes.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, La Baleine et l’Amériquain.