Philippe-Amédée Blacher
Poète et fabuliste XIXº – La bonne Vieille, sa Poule et le Coq du Voisin
A ma mère.
En caressant sa poule, une très-bonne mère
Disait : « Avec tes œufs, je brave la misère ;
Comment ne pas t’aimer ? Toujours chaque matin
J’en trouve un dans ton nid pour un nouveau festin.
Le bonheur me sourit, tout me devient prospère,
Je file et dors sans craindre un lendemain contraire.
Aussi quand le temps vient, même assez sans façon,
Je vais couper aux champs l’épi pour ta moisson !
Mais, sans compter sur moi, le Dieu de la nature
A mis dans toi l’instinct de chercher ta pâture. »
La bonne vieille, ainsi, la poule dans ses bras,
Lui causait, l’embrassait et ne la quittait pas.
Mais, malgré le soleil, on voit bien des jours sombres
Qui reflètent parfois dans notre âme leurs ombres,
De même il arriva, par un mauvais matin,
Qu’on promit à la belle une vilaine fin.
« Allez vite, dit-on, vous êtes une ingrate
Et ne méritez pas désormais qu’on vous flatte.
A l’aurore, demain, si vous ne pondez pas,
Dans trois jours avec nous vous ferez mardi-gras. »
Hélas ! dans l’univers chacun a sa misère
Qu’il conte à son ami comme au sein de son père,
La pauvrette en émoi, comme au son du tocsin,
Fut la conter au coq son cher et bon voisin,
A qui tous les secrets depuis leur tendre enfance
Avaient permis des droits allant à la licence !….
« Qu’as-tu donc fait ? dit-il, malgré tant de vertus.
— Une bluette, un rien ; c’est que je ne ponds plus !….
— Je t’avais prévenue ; il ne faut pas te plaindre.
L’ami par intérêt doit toujours être à craindre. »
Philippe-Amédée Blacher