LE CŒUR.
Pourquoi toujours me mettre à la torture?
Pourquoi dire en mon nom ce que tu ne sens pas?
Il est affreux de trahir la nature,
Et de dire oui tout haut, quand je dis non tout bas.
LA BOUCHE.
Dans notre monde, où règne l’imposture
Ou la politique, sa sœur,
On suit le torrent de l’usage.
Si je parlais selon le cœur,
Nous ferions l’une et l’autre un pauvre personnage.
L’art de vivre en société.
Est de faire divorce avec la vérité.
Celui qui ment le mieux a le plus davantage.
LE CŒUR.
Puis-je, sans étouffer, entendre ce langage?
LA BOUCHE.
Hommes de loi, prêtres, marchands,
Et médecins et courtisans,
Tous mentent avec impudence;
Et les menteurs par excellence,
Vous le savez, sont les amants.
Oui, ce sont eux qui par leurs faux serments
Me font le plus de violence.
J’en dis autant de maints époux,
Êtres froids qui font les jaloux ,
Qui, sous cette vaine apparence,
Se cachent leur indifférence.
LA BOUCHE.
Convenez que la vérité
Dans ce siècle n’est plus de mise.
Cette estimable qualité,
S’usant de plus en plus dans la société,
Est l’équivalent de sottise ;
Et qui la redoutait la brave et la méprise.
LE CŒUR.
Par bonheur l’Être tout-puissant
Plaça la vérité dans le cœur de l’enfant.
“La Bouche et le Cœur”