A mes enfants
Une jeune Sarcelle établit ses pénates
Sur le bord d’un étang. Des restes d’un vieux nid
Elle fit son palais ; et son bec et ses pattes
Lui donnèrent bientôt et la chambre et le lit.
Mais à moins que l’oiseau ne ponde,
Que faire dans un nid ? Le nôtre, dieu merci,
N’y manqua pas, et mit au monde
Douze œufs dont il faisait son plus tendre souci.
La Sarcelle à l’essor, il avint que l’orage
Enfla l’onde ; et l’étang grossi
Emporta le logis et le ménage aussi ;
Une Canne vit le naufrage.
Elle saisit du bec l’arche flottant sur l’eau ;
Et l’ayant traînée au rivage,
Elle couva les œufs trouvés dans le berceau.
Les petits étrangers sortent de la coquille ;
Et notre Canne dès l’abord
Va promener dans l’eau la nombreuse famille ;
Lorsque nageant tout près du bord
Elle vit la pauvre Sarcelle
Qui gémissait tout bas. Que pleurez-vous ? Dit-elle ;
Vous aurait-on fait du souci ?
— Je pleure, hélas ! Mes œufs, douce et tendre espérance,
Que l’orage a, je crois, noyés dans mon absence.
Sans lui je serais mère aussi.
— Vos œufs ? Et depuis quand, ma mie,
Les avez-vous perdus ? — Un mois passé déjà.
— Pouvez-vous témoigner en quel lieu, je vous prie,
Arriva ce malheur ? — Dans les joncs que voilà.
— Vous voyez vos petits ; je leur suis étrangère ;
Je les ai sauvés
Et couvés
Pour les rendre un jour à leur mère.
Prenez-les donc ; c’est votre bien.
Je n’ai fait que leur donner l’être.
Les perdant, j’en mourrai peut-être ;
Mais je fais mon devoir. Adieu. Soignez-les bien.
Et la Canne, à ces mots, prend dans l’air sa volée ;
Jetant par ci par là des regards attendris
Sur la famille désolée
Qui l’appelait de loin avec de petits cris.
Mes chers enfants, prenez ma Canne pour modèle.
Le plaisir d’un bon cœur est de faire le bien.
Propice aux malheureux, à la vertu fidèle,
Il fait celui d’autrui même aux dépens du sien.
“La Canne et la Sarcelle”