Jacques Roland Weill
Fabuliste du XXº – La Cheminée
Deux vagabonds, ayant bu un bon coup,
S’évadèrent d’un toit en empruntant le trou
D’une spacieuse cheminée
Heureusement non enfumée.
Cependant l’intérieur du conduit
D’une suie épaisse est enduit
Et toute la couche de crasse
Vient badigeonner la face
De notre premier ramoneur
Amateur.
Sur la paroi qui devient lisse,
Le second par contre se glisse
En gardant son visage clair,
Sans nulle marque de l’enfer.
En bas du foyer nos compères
Aussitôt s’entre-regardèrent
Et qu’advint-il de chacun d’eux ?
Un résultat fort malheureux.
Voyant l’un de l’autre la face
Chacun conclut, fort peu sagace,
Le premier qu’il n’est point sali,
Le second qu’il est tout noirci.
Le plus souillé sans aucune toilette
Prend aussitôt la poudre d’escampette.
Son compagnon courant au lavabo
S’y récure à s’écorcher la peau.
Ainsi au reflet de qui nous regarde
Jugeons-nous de notre propre destin.
La nature bien trop souvent se farde
A se comparer au prochain.
S’il ne faut pas vivre en ermite,
Car il est bon que la vertu s’imite,
Ne nous chargeons pas des péchés
Sur le front d’autrui affichés.
Jacques Roland Weill
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