Une Chèvre folâtre, au gré de ses caprices,
Sautait, grimpait, allait, venait
A travers les rochers, parmi les précipices ;
Et plus bas, une Vache était qui ruminait.
La Chèvre l’appela. Les champs n’ont rien qui plait
Lui dit-elle. Venez sur ces rocs escarpés
Où nous gambadons à notre aise.
Allons, levez-vous et grimpez.
A ces mots, la Vache empesée
Se redresse et la suit d’un pas tranquille et lent.
La Chèvre, comme une fusée,
Part et vole en cabriolant,
Et la voilà d’une gambade
Qui s’élance à trente pas.
Les poumons essoufflés, de loin sa camarade
Lui criait : Ne vous pressez pas ;
Vous allez un train d’amazone.
La Chèvre, charitable et bonne,
Revient à ses côtés.
Elles marchaient de front,
Quand se présente à nos commères
Un ravin étroit et profond.
La Chèvre le franchit d’un bond.
L’autre s’arrête à ces barrières,
Se recueille, regarde au fond,
Voit un abîme, en a la fièvre.
Sautez, ma sœur, lui dit la Chèvre,
Relevez vos pieds de devant ;
Sur les deux autres vous mouvant,
Vous pourrez sans péril enjamber ce passage,
La pèlerine prend courage,
Se recommande à Dieu, pose un pied sur les bords,
Puis l’autre ; puis la lourde bête
Fait mouvoir sa masse, et se jette
Dans un gouffre voisin de l’empire des morts.
Je conclus de ceci qu’on doit fermer l’oreille
Aux avis de tout homme imprudent et léger,
Et qu’on fait sagement, quand quelqu’un vous conseille
Avant d’exécuter, de peser le danger.
J’en puis conclure aussi qu’il faut sonder ses forces
Quand on veut s’élever ; éviter les amorces
D’un amour-propre sot et fou ;
Et se garer surtout d’événements sinistres.
Pour être allés trop haut, que d’ignorants ministres
A ma Vache pareils, se sont cassé le cou !
“La Chèvre et la Vache “