La Cigale et l’ Feurmit, fable en patois Saintongeais
Peurq’ tié cigale et tieû feurmit
Se voyissian meû, més amit,
Mon sieu Garnier m’a fait in paire de lunette.
A sont bein boune foutiquette !
Saquez-lés donc d’sus voût’ nazot,
Vous voérez tieû feurmit aussi groû qu’in barbot.
Et vous voérez b’n otout lés ale
De tié mâtine de cigale,
Qui s’épiraye en tieûl ourmiâ.
Diâb’ m’essarte, a sembian à tielles d’in osiâ.
Le quate jein dàrié (‘1 é sûr qu’o fasait biâ)
Ine feugnante de cigale,
De poûr’ que le soulail l’achale,
S’était b’ déparpassée au mitan d’in ourmiâ.
A silait keume cent fumelle,
Menait dau brut bein pu groû qu’elle,
Et se fourchait, poin à demit,
D’in paure diâbe de feurmit,
Qui treinait dés agrain deveurs sa feurmigère.
(Oh ! tiellés beite sont bein boune ménagère ! )
Venit l’hivar. Fazit in frét
Que reun que d’y songé me fait sabé lés dét,
Toute grape et catise en in creux, tié cigale
Se fourçan d’éparé ses ale,
Cheû le feurmit, boun’gen ! volit keume a poyut.
« Mon vieux, qu’a li dissit, n’ai de més jôr oyut
« Ine faim keume aneut; ol é la vrai’ fringale.
« Peûris-tu me preité tan set peu d’gigourit,
« De la mique, dau pain ratit,
« O beun dés beurnuzon de tourtiâ chaumenit?
« 0 n’arat reun que je n’avale,
« Qu’o set dés poume chope, o b’ dés coudin cotit.
« — Ma mignoune, fait poin, que le feurmit dissit.
« Tiet été tu chantis ; s’o te chausse, en tielle aire,
« Astoure de dansé ton petit rigaudon,
« M’en vas q’ri tout comptan Beurnard le vioulounaire. «
Sauv’ qu’il arait poyut avoér le kieur pu bon,
Tieû feurmit, m’é-t-avis, avait b’n’ in p’tit rason.
La Cigale et la Fourmi (traduction)
Pour que cette cigale et cette fourmi
Se vissent mieux, mes amis,
Monsieur Garnier m’a fait une paire de lunettes.
Elles sont bien bonnes, fiche!
Mettez-les donc sur votre nez,
Fous verrez cette fourmi aussi grosse qu’un fouille-crotte,
Et vous verrez bien aussi les ailes
De cette mâtine de cigale
Qui s’épuise à crier dans cet ormeau.
Le diable me déchire ! elles ressemblent à celles d’un oiseau.
Le quatre juin dernier (il est sûr qu’il faisait beau),
Une fainéante de cigale,
De peur que le soleil ne l’étouffât,
S’était indécemment découverte au milieu d’un ormeau.
Elle criait comme cent femmes,
Faisait du bruit bien plus gros quelle,
Et se moquait tout de bon
D’une pauvre diablesse de fourmi
Qui traînait de mauvais grains de blé vers sa fourmilière.
« Oh! ces bêtes sont bien bonnes ménagères! »
Vint l’hiver. Il fit un froid
Que rien que d’y songer j’en ai l’onglée.
Tout engourdie, et, tapie en un trou, cette cigale,
S’efforçant d’étendre ses ailes,
Chez la fourmi, hélas! vola comme elle put,
« Ma vieille, lui dit-elle, je n’ai jamais eu
« Une faim comme aujourd’hui: c’est la vraie fringale.
« Pourrais-tu me prêter tant soit peu de brouet,
« De la galette de maïs, du pain rongé des rats ,
« Ou des miettes de galette moisie ?
« Il n’y aura rien que je n’avale.
« Même des pommes blettes ou des coings flétris.
— « Ma mignonne, non pas, dit la fourmi.
« Cet été tu chantais ; s’il te va , dans cette aire ,
« Maintenant de danser ton petit rigodon ,
« Je vais chercher Bernard, le joueur de violon.
Si ce n’est quelle aurait pu avoir meilleur cœur,
Cette fourmi, il me semble, avait bien un peu raison.