Jean-Pons-Guillaume Viennet
Poète, fabuliste XVIII° – La chute d’un Gland
Au pied d’un chêne et sur un vert gazon,
Se reposait une belette ;
Quand un gland, détaché par le froid aquilon,
Vint tomber à plomb sur sa tête.
Elle s’éveille, et, tremblante d’effroi,
De ce lieu dangereux s’enfuit à perdre haleine,
Criant au rat des champs qu’elle regarde à peine :
Là-bas, là-bas vient de tomber sur moi
La branche énorme d’un gros chêne. »
Le rat n’eut garde d’aller voir.
Il dit à deux lapins broutant sur la colline
Qu’un gros chêne venait de choir
Sur la belette sa voisine ;
Les lapins, en le racontant,
Y mêlent des éclairs et le feu du tonnerre ;
Un écureuil, qui les entend,
Y joint un tremblement de terre.
Bref, les faits, les détails, l’un par l’autre appuyés,
S’étaient le lendemain si bien multipliés.
Qu’à trente milles à la ronde
Tous les animaux effrayés
Dans la chute d’un gland voyaient la fin du monde.
L’animal raisonnable a-t-il plus de raison,
Moins de crédulité ? L’histoire dit que non.
Il a même de plus la malice et l’envie.
S’occupe-t-on d’un accident fatal,
D’un crime ou d’une calomnie ;
Par nature, à plaisir, il grossira le mal.
– Mais citez un beau trait, osez louer la gloire
D’un homme de mérite ou d’un homme de bien ;
Il la rabaisse, il refuse d’y croire ;
Et mieux vaudrait qu’il n’en dit rien.
1. Si cette fable n’avait pas été composée avant la catastrophe du 8 mai, je me serais bien gardé de faire un objet de plaisanterie d’un accident aussi épouvantable. Mais elle était connue du public long-temps avant cette funeste journée, et je n’ai pas cru devoir la supprimer.
Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868