Dame cigale, en la belle saison ,
Où tout se trouve en abondance,
Ne pensant qu’à faire bombance,
Chantoit, sautoit de buisson en buisson;
Et de la Fourmi, sa voisine ,
Railloit l’humeur chagrine.
A son compte toujours pensant à l’avenir,
L’avare de son bien ne savoit pas jouir.
Sans cesse accumuler, quelle étrange folie !
La Fourmi cependant alloit toujours son train.
Et sa dépense étoit remplie
Abondamment du meilleur grain.
Comme en ce bas monde tout passe !
Du beau temps l’hiver prit la place.
Aux champs, plus d’herbe ni de fleur,
Tout fut brûlé par la saison glaciale.
N’ayant rien gardé, la cigale
Très-fréquemment dinoit par cœur.
Elle alloit périr de misère :
En cette extrémité que faire ?
Je connois bien , dit-elle, un grenier bien fourni ;
Mais cette avare, la fourmi,
Ne m’en ouvrira pas la porte.
Allons la trouver cependant;
Car autrement, Je suis une cigale morte.
Elle y va; fa fourmi soudain
Lui donne un sac du meilleur grain;
Puis ajoute : Voyez, ma mie,
A quoi sert mon économie !
Aurois-je pu sans elle ainsi tous soulager !
Et jouir du plaisir si doux de partager ?
Cependant soyez diligente ;
Vous n’aurez pas toujours un tel appui :
Car quand on compte sur autrui,
On est souvent trompé dans son attente.
“La Cigale et la Fourmi”
Ce même sujet a été traité par le célèbre La Fontaine, et si j’ai osé le remanier après lui, c’est que , suivant la remarque d’un écrivain non moins fameux dans un autre genre, la moralité de sa fable est mauvaise, ou présente du moins un mauvais côté.
- Jean-Espérance-Blandine de Laurencin – 1733 – 1812