Clodomir-Joseph Rouzé
Auteur de manuel scolaires, analyses des fables – La Cigale et la Fourmi
La Cigale et la Fourmi, analysée par Clodomir Rouzé.
- La Cigale et la Fourmi.
Cette fable est la première du livre premier : ce qui ne veut pas dire qu’elle soit la meilleure. Cependant, en vertu môme du rang qu’elle occupe, elle est presque toujours la première que l’on fait apprendre aux petits enfants : comme s’il était nécessaire de prêcher l’égoïsme à un âge qui se montre fréquemment dur et cruel, parce que, dans son inexpérience, il ne sait pas encore ce que c’est que souffrir!
« Eh bien! dansez maintenant! » Voilà le trait cruel que la fourmi lance à la pauvre cigale, malheureuse par sa faute, mais malheureuse néanmoins.
Pères et mères qui faites apprendre la Cigale et la Fourmi à vos enfants, soyez sûrs que ce dernier vers est celui qu’ils retiendront le mieux et qu’ils appliqueront le plus souvent, si vous ne leur enseignez pas tout d’abord qu’il n’est jamais permis de traiter durement les malheureux, quelque coupables qu’ils soient, et que le meilleur usage qu’un homme puisse faire de ses économies, est d’en consacrer une large part au soulagement de ceux qui souffrent.
La morale de cette première fable ne court pas seulement le risque d’être mal interprétée : la fable elle-même laisse aussi à désirer sous le rapport de la clarté, comme nous le montrerons dans l’analyse suivante.
La cigale ayant chanté tout l’été…
Ce vers semble bien court pour exprimer une aussi longue période. Mais celui qui récite cette fable, peut corriger ce petit défaut en s’arrêtant sur le mot tout qui commence le vers.
Se trouva fort dépourvue,
c’est-à-dire dans une grande disette; — lisez : fort dépourvue de vivres, d’aliments.
Quand la bise fui venue :
La bise est un vent très rigoureux du nord-est, qui ne souffle guère que dans la mauvaise saison : bise est donc synonyme d’hiver.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau !
En effet quand la bise souffle, on ne voit plus de mouches, et les vermisseaux sont cachés dans la terre. Il aurait fallu faire des provisions pendant l’été; la cigale n’y a point songé; comme tous les paresseux, elle ne pensait qu’à s’amuser, à chanter. Pressée par le besoin, au commencement de l’hiver.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi, sa voisine,
Pauvre cigale! Elle meurt de faim, elle en crie. De là cette expression énergique qui est devenue populaire : crier famine,
La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle…
La saison nouvelle, c’est-à-dire le printemps. Dans quelques pays du midi, on appelle cette saison le renouveau ; et, en effet, tout alors se renouvelle .
Je vous paîrai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.
Oût ou août, contraction d’Augustum, huitième mois de l’année, consacré à l’empereur Auguste.
Foi d’animal, c’est-à-dire, au nom de la confiance que l’on doit accorder à la parole d’un animal, ou, pour résumer, aussi vrai que je suis un animal ! Intérêt est ce qu’une somme rapporte;
le principal est la somme prêtée.
La fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
Ce vers est souvent mal interprété. Il ne veut pas dire que ce soit là le plus petit défaut de la fourmi, comme on le comprend ordinairement, mais bien que le défaut d’être prêteuse (si c’est un défaut), est celui que la fourmi a le moins. Traduction familière : si elle a un défaut, ce n’est certes pas celui-là. Le vers de la Fontaine est donc obscur, puisqu’il est généralement mal compris.
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Emprunteuse forme, avec prêteuse, une rime trop facile.
Nuit et jour à tout venant.
Je chantais, ne vous déplaise,
A tout venant, c’est-à dire, pour le premier venu, quel que fût celui qui pouvait n’entendre. Cette confession naïve, qui devait désarmer la fourmi, ne lui arrache que celte dure réponse, où le froid égoïsme se joint à la plus cruelle ironie, puisqu’elle s’adresse à une indigente :
Vous chantiez, j’en suis fort aise;
Eh bien, dansez -maintenant !
Sans doute, il est fort bon de dire aux enfants que, s’ils sont paresseux comme la cigale, ils s’exposeront à rencontrer, dans le malheur, beaucoup de gens cruels comme la fourmi; — mais il faut le leur dire, et ne pas leur laisser, comme la Fontaine, le soin périlleux de tirer la conclusion, et d’accommoder la morale de cette fable avec leurs dispositions naturelles, qui ont souvent besoin d’être dirigées, sinon corrigées. (La Cigale et la Fourmi, par Clodomir Rouzé)
Analyses littéraire des fables de La Fontaine – 1886.
- Rouzé, Clodomir. Analyses littéraires de fables de La Fontaine et de morceaux choisis, par C. Rouzé, 1886.