Au milieu d’un joli village,
Un moineau partageait la cage
D’une colombe. Pour l’habit,
L’esprit
Et les nuances du langage,
Ce beau couple formait un contraste étonnant.
Je vais le prouver maintenant.
Pour égayer son esclavage,
Vif, espiègle, heureux, le friquet,
Par son babil et son caquet,
Changeait sa prison en bocage ;
Mais aussitôt que du soleil
Étincelant sur les croisées
Paraissait le rayon vermeil,
La colombe aux pattes rosées
Commençait son roucoulement.
Tout le jour ce n’étaient que ballades, romances,
Harmonieux soupirs et longs gémissements,
Aussi plaintifs que les cadences
Que Philomèle jette au milieu des roseaux.
Mais le maître des deux oiseaux
De la dame au collier goûtait fort la romance,
Tandis que les airs gais du moineau frétillant,
Persifleur, moqueur et bruyant,
Ne pouvaient obtenir que son indifférence.
Un jour, sur la cage incliné,
Le maître applaudissait sa colombe adorée,
Et sur le petit bout de son aile azurée
Certain baiser lui fut donné.
Mais le moineau, témoin de ces douces caresses,
En fut si jaloux qu’il se dit :
Verrai-je donc toujours à cet oiseau maudit
Prodiguer bravos et tendresses ?
Il sera, chaque jour, devant moi cajolé,
Applaudi, caressé… moi, je serai sifflé !
On n’aime pas mon chant : eh bien, changeons de style.
L’esprit gaulois, goûté de Paris la grand’ ville,
Déplaît ici : plus de chansons !
Laissons les airs gais aux pinsons ;
Prenons le luth de Lamartine :
Bientôt mon maître, j’imagine,
M’aimera presque autant que son oiseau plaintif.
Aussitôt il se jette en un récitatif
Plus long que ceux de son amie
Et plus triste que Jérémie.
Mais le maître, accourant, lui dit tout irrité :
Tais-toi, stupide oiseau ! garde donc ta gaîté.
J’aime encor mieux ton caquetage,
Ton impertinent persiflage,
Ton babil frivole et joyeux,
Que les pleurs faux. Quelle folie
Que feindre la mélancolie,
Quand la gaîté brille en tes yeux
Et que l’on sait ton âme heureuse !
Laisse les amoureux soupirer leurs amours,
Et, si tu veux toucher à la fin de tes jours,
Imite celte roucouleuse !
Dussions-nous n’être pas parfaits,
Gardons-nous toujours bien d’imiter un autre homme ;
Soyons toujours nous-même et sachons rester comme
Dame Nature nous a faits.
“La Colombe et le Moineau”