Une colombe encor jeunette,
Lassé de vivre sous les lois
De quelque colombe à lunette,
Un jour quitta la maisonnette ,
Pour aller écouter aux bois,
Du rossignol la chansonnette.
C’est ainsi que la jeune Anette,
Esquivant sa bonne maman,
En mules, en corset, en petite cornette
Court au fond d’un jardin lire quelque roman,
Tant que notre colombe avait de ses pareilles
Aimé la compagnie et gardé la maison,
Elle avait ignoré l’amour ; et ce poison,
Qui, dans un cœur novice entrant par les oreilles,
En fait déloger la raison.
Mais quand la petite indiscrette
Du tendre rossignol eut écouté les chants ,
Ils plurent tant à la pauvrette,
Ils lui parurent si touchants,
Elle prit tant de goût pour une farabande,
Pour le récitatif et pour le rigaudon ,
Que des sujets de Cupidon,
Elle grossit bientôt la bande.
C’est ainsi qu’en quittant Ovide ou l’Opéra;
Le cœur d’une innocente fille
Palpite , s’enflamme, pétille
De s’entendre conter tout ce qu’elle a vu là ;
Et souvent la raison dit trop tard : halte-là.
Quoique dans la vertu vous soyez affermies,
Fuyez l’occasion, colombes mes amies ;
Fuyez jusqu’au récit des amoureux tourments,
En écoutant l’amant, à l’amour on s’engage ;
On croit n’aimer que son langage ,
Et l’on en prend les sentiments.
“La Colombe, fable de Pesselier”