Au prince de Smolensk lorsque la politique ,
Aux vandales nouveaux préparant ses filets,
A l’audace opposait une adroite tactique,
Et que la ruse enfin, pour les perdre à jamais ,
Entraînait dans Moscou les imprudents français,
Lors , de cette cité , si féconde en merveilles ,
La masse se soulève, et du petit au grand ,
Tout en quitte les murs, sans perdre un seul instant.
On eût dit d’un essaim d’abeilles.
Du haut d’un toit, tranquille et se frottant le bec,
Et par fois se grattant l’oreille, Une Corneille
Regardait le tout d’un œil sec
—Et toi, que fais-tu là, commère ,
Ne penses-tu pas au départ ?
Lui crie alors , d’un ton sévère,
Une poule déjà sise sur un brancard.
Les ennemis , dit-on , vont être à notre porte.
-Soit,reprend la corneille, eh-bien ! et que m’importe?
Sans crainte, moi, je reste ici.
Toi , si tu prends tant de souci,
Fais ce que tu voudras , ainsi que tes pareilles,
Chacun, selon les cas, doit prendre son parti ;
Moi, je sais que jamais on n’a cuit, ni rôti
La gent heureuse des corneilles.
Ainsi je saurai bien avec eux m “arranger,
Je pourrai même m’adjuger
Ma part à quelque bonne aubaine ;
Quelque peu de fromage! ou quelque os ; et l’on sait
Que cela, ma commère, en vaut très fort la peine;
Belle huppe ! adieu donc, bon voyage !
— En effet La corneille tint bon et ne bougea de place ;
Mais dupe en son calcul, son appétit vorace
N’eut pas le tems de faire un bien riche butin ;
Koutousof ayant su, pour .remplir son dessein,
Affamer dans Moscou son hôte avec sa troupe,
La pécore trouva sa place dans leur soupe.
De l’homme, bien souvent, telle est la sotte erreur;
Du bonheur il prétend boire à longs traits la coupe ;
Hélas ! au résumé, l’aveugle, par malheur,
Ainsi que la corneille, est tombé dans la soupe.
“La Corneille et la Poule”