Charles Porphyre Alexandre Desains
Azor, viens donc, Azor, indocile animal !
Comment! tu ne vois pas, en faisant l’intrépide,
Qu’après ce tilbury tu te donnes un mal
Qui n’aboutit à rien : ta morsure stupide
N’arrête point la roue, et son cercle rapide
Te prouve en s’éloignant qu’Azor est un grand sot.
Vous n’avez Pas raison de m’infliger ce mot,
Madame, il est injuste, et l’on devrait, je pense,
Accorder à l’erreur un peu plus d’indulgence,
Car au malheur de se tromper
Personne ne peut échapper.
Vous qui portez du fard pour nous cacher votre âge,
Vous voudriez du temps ralentir le passage ;
Le temps, malgré vos vœux, passe rapidement.
Votre fils, poursuivant la gloire littéraire,
Qui devant lui s’envole obstinément,
Fait des livres qui vont mourir chez le libraire,
Et dont vous payez cher les frais d’enterrement.
Quant à votre mari, d’ailleurs fort galant homme,
Que pour un bel esprit dans la ville on renomme,
Il passe quelquefois de longues nuits au jeu,
Et quand il joue on voit que ce n’est pas pour peu.
Cependant, que veut-il, votre époux, quand il joue ?
De la fortune il croit pouvoir fixer la roue,
Y parvient-il jamais ? Vous savez bien que non ;
Il a, dans peu de temps, ruiné sa maison,
Sans épargner la dot de votre pauvre fille.
Celle-ci, loin des jours où la femme est gentille,
Voudrait, malgré son âge et quelques cheveux blancs,
Arrêter encor les galants ;
Il passent sans savoir si votre fille existe.
Ainsi, dans ce moment, chacun de nous persiste
A poursuivre une ombre, et voilà
Comment l’on peut, sur cette terre,
Avoir en tête une chimère
Et n’être pas sot pour cela.
Charles Porphyre Alexandre Desains, (1789- 1862)