La Déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme,
On la fit déloger des Cieux.
Chez l’Animal qu’on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts,
Elle et Que-si-que-non, son frère,
Avecque Tien-et-mien son père.
Elle nous fit l’honneur en ce bas Univers
De préférer notre Hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés ;
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans Prêtre et sans Notaire,
De la Discorde n’ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandait qu’elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l’avertir ; et l’autre diligente
Courait vite aux débats et prévenait la Paix,
Faisait d’une étincelle un feu long à s’éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l’on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine.
Bien souvent l’on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu’elle eût un séjour affecté,
Un séjour d’où l’on pût en toutes les familles
L’envoyer à jour arrêté.
Comme il n’était alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.
L’Auberge enfin de l’Hyménée
Lui fut pour maison assignée.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 4. Chez l’animal qu’on appelle homme , On la reçut à bras ouverts.
Bonne satire de l’humanité en général ; puis vient la satire de la société, de l’homme civilisé qui n’a fait, par les conventions sociales, que multiplier les sujets de discorde. La Fontaine ne sort pas du ton de la plus simple bonhommie , et c’est ce qui rend cette fable si piquante. La difficulté de loger la discorde , parce qu’il n’y avait point de couvent de filles , est un trait imité de l’Arioste , qui la loge chez les moines ; mais La Fontaine qui voulait la loger chez lés époux, a su tirer parti de cette imagination de l’Arioste.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) La déesse Discorde ayant brouillé, etc. Tous les Dieux avoient été invités aux noces de Thétis et de Pelée, à l’exception de la Discorde, qui, pour s’en venger , jeta au milieu de rassemblée une pomme d’or sur laquelle étaient inscrits ces mots : A la plus belle. Ce prix flatteur excita la rivalité de Junon, de Minerve et de Vénus. L’Olympe prit parti. Il fallut renvoyer à un simple mortel le jugement de ce grand procès ; et la querelle de trois femmes jalouses devint un incendie qui mit en combustion et le ciel et la terre. La poésie et la peinture ont uni leurs pinceaux pour décrire ce monstre. On peut regarder comme un dessin original le portrait qu’en a fait Hésiode : La tunique de la Discorde, dit ce poète, est teinte du sang des mortels ; son regard est affreux; ses cris portent l’effroi dans les âmes. ( Boucl. d’Hercule , p. 213. trad. de Gin. )
(2) Elle et Que-si-que-non, son frère ,
Avecque tien-et-mien, son père. « Si La Fontaine introduit des personnages allégoriques de sa façon, c’est toujours en homme simple : c’est Que-si-que-non , frère de la Discorde ; c’est Tien et-mien, son père, etc. ». ( Marmontel. )
Les uns disent que si, et les autres que non.
( Scarron. )
Platon dit qu’une ville est heureuse, quand on n’y connoit pas le tien et le mien. (Plutarque, Préceptes de Mariage, T. II. trad. de Ricard, p. 172. Boileau, Sat. XI. )
S’il y avoit un genre auquel il fallût assigner cette longue épi gramme, ce seroit au conte plutôt qu’à l’apologue. Quelques traits de satyre un peu malins contre les prêtres et les couvens, pourront lui tenir lieu de tout autre mérite auprès de certains lecteurs , mais ne seront point des titres suffisans aux yeux de ces philosophes qui veulent jusques dans les jeux de l’esprit une instruction grave et une morale saine.
C’est à Plutus, dieu de l’intérêt, que Gay rapporte la mésintelligence trop ordinaire entre l’amour et l’hymen.