André-Clément-Victorin Bressier
Sur les bords d’un torrent un vigilant fermier,
Pour former le rempart d’une forte chaussée,
Environnait de pieux entrelacés d’osier
Un amas de terre entassée.
A quelques pas de là nonchalamment assis,
Certain oisif du voisinage
D’un ton railleur blâmait l’ouvrage ;
La race des frondeurs abonde en tout pays.
« Bonhomme, disait-il, vous perdez votre peine ;
D’un filet d’eau que craignez-vous ?
Il n’envahira point votre riche domaine ;
A peine de son lit il couvre les cailloux.
Attendez la saison prochaine,
Et reposez en paix : le repos est si doux. »
— « Jamais, dit le vieillard, à demain l’homme sage
N’ajourne le travail qu’il peut faire aujourd’hui.
Contre un torrent fougueux à ce faible rivage
Laissez-moi donner un appui.
J’ai vu (tout le village en a la souvenance),
Oui, j’ai vu ce ruisseau qu’un enfant peut franchir,
Que l’été voit souvent tarir,
Par l’orage grossi, former un lac immense ;
Entraîner les troupeaux dans la plaine surpris,
Et des hameaux détruits engloutir les débris.
Ce voisin dangereux, aujourd’hui si paisible,
Une seconde fois peut devenir terrible.
De m’opposer à ses débordements
Demain, ce soir peut-être, il ne sera plus temps.
L’avenir qu’on prévoit est exempt de disgrâces.
Jeune homme, aux digues des torrents
Travaillons quand les eaux sont basses. »
Au censeur indiscret le vieillard avisé
Donnait une leçon utile.
De prévenir le mal il est souvent aisé ;
En arrêter le cours est toujours difficile.
“La Digue”