Des villageois querelleurs et jaloux
Crurent d’un voisin riche avoir fort à se plaindre
A cause de son toit qui les dominait tous,
Et pour briser celui qu’ils ne pouvaient atteindre,
Déchaînèrent sur lui l’impétueux courroux
D’un lac supérieur qui s’ouvrit sous leurs coups.
Les bonnes gens croyaient n’en avoir rien à craindre.
Nous sommes, disaient-ils, bien loin, bien au-dessous ,
Et puis une autre digue est bâtie entre nous.
Erreur ! Au premier choc la digue est emportée;
Sur la pente des monts l’onde tombe indomptée.
On fuit ; il est trop tard. Le tourbillon des eaux
Traîne et roule à grand bruit forêts, maisons, troupeaux.
Le triste villageois qu’épargna sa furie,
Sans autels désormais , sans amis, sans patrie,
Jette un dernier regard sur ces débris affreux ,
Et pleurant va porter ses maux sous d’autres cieux.
Mais quel est ce torrent ? Demandons à nos pères ;
Nos pères l’ont connu ; nous-mêmes attendons :
Il doit rouler encor bien des larmes amères :
C’est le torrent des révolutions.
“La digue rompue”
- Jacques-Melchior Villefranche – 1829 – 1904