Certaine femme avait une poule pondant
Chaque jour un œuf, tout autant.
Non contente, la vieille avare *
(Il est beaucoup de gens qui non contents d’avoir,
D’avoir toujours plus ont l’espoir)
Fit ce raisonnement bizarre :
Si ma poule par jour la moitié plus mangeait,
Pour sûr elle pondrait deux œufs, c’est clair et net.
La-dessus, à grands frais aussitôt elle achète
L’orge, l’avoine et le millet ;
D’un grand sac de blé noir même elle fait l’emplette,
Et la force à manger plus qu’elle ne voulait,
Et ne pouvait.
Qu’arriva-t-il ? bientôt la poule
Devint ronde comme une boule,
Et ne pondit rien qu’une fois Dans un mois.
Après quoi, cette poule grasse
De sa graisse mourut, et notre vieille crasse
En vain déplora son malheur,
Dont sa grande avarice était seul auteur.
Elle pensa mourir, tant sa douleur fut vive ;
Beaucoup de gens vont -jusque-là.
Quand on veut trop avoir, très-souvent il arrive
Que l’on perd même ce qu’on a.
* Boinvilllers, manuel latin, qui a pris ce sujet, s’il ne l’a pas inventé, comme dirait feu La Palisse, dans quelque fabuliste, Esope peut-être. En mettant tout sur le dos d’Esope, le 1er fabuliste de profession connu, on a plus de chance de moins se tromper.
* Je n’avais pas dit qu’elle était vieille, mais cela va sans dire, du moment qu’elle est avare, car l’avarice est une passion de l’âge mûr ou plutôt de la vieillesse; et chose remarquable, plus on approche de la tombe, plus on tient à l’argent. D’ailleurs, les passions de la jeunesse, avec toutes leurs billevesées et illusions, ne valent pas mieux. Qu’on se le persuade bien. Du reste, il y a aussi de jeunes avares des deux sexes. “La Femme et la Poule”