Pañchatantra ou fables de Bidpai
2e. Livre – III. — La Femme qui échange du Sésame mondé contre du Sésame non mondé
Il y a dans un endroit une ville dévote, Sandjatara. Là un jour, dans la saison des pluies, pour apaiser la souffrance que m’avaient causée les nuages, j’allai à la maison d’un brahmane et je demandai une toute petite place pour moi ; puis, après cette demande, traité avec honneur, je restai là avec satisfaction, vénérant ma divinité protectrice. Or un jour au matin, comme j’étais éveillé, j’entendis en prêtant attention la conversation du brahmane et de la brâhmanî. Là le brahmane dit : Brâhmanî, demain matin le soleil entrera dans sa marche vers le nord, et il en résultera d’innombrables aumônes. Aussi, pour en recevoir, je vais aller vite dans un autre village. Toi, tu donneras en l’honneur du vénérable soleil du sésame à un brâhmane. Mais quand la brâhmanî entendit cela, elle le gourmanda en termes très-durs, et dit : Affligé de pauvreté, d’où as-tu de quoi nourrir un brahmane ? N’as-tu donc pas honte de parler ainsi ? Et aussi, depuis que le bout de ta main m’a touchée, je n’ai même jamais eu aucun plaisir ; je n’ai reçu ni friandise à goûter, ni parure pour les mains, les pieds, les oreilles, le cou, et cetera.
Lorsqu’il eut entendu cela, le brahmane, quoique saisi de crainte, dit tout doucement : Brâhmanî, il n’est pas convenable de dire cela. Et l’on dit :
Une bouchée même, pourquoi n’en donne-t-on pas la moitié aux pauvres ? Quand et à qui sera en partage une fortune selon son désir ?
Et ainsi :
L’avantage que les riches acquièrent, dit-on, avec une grande fortune, le pauvre peut l’obtenir avec un kâkinî : ainsi l’avons-nous appris.
Et ainsi :
Celui qui donne, si petit qu’il soit, est respectable ; mais non pas l’avare, quelque grand qu’il soit par la richesse. Le puits dans lequel est une eau douce donne la joie au monde ; l’Océan, non.
Et ainsi :
A quoi bon le faux nom de roi des rois pour ceux qui n’ont pas la grandeur de la libéralité ? Les sages vénèrent, non pas le gardien des trésors, mais Maheswara .
Le roi des éléphants, amaigri par l’exsudation continuelle du rut, est vanté ; l’âne, qui n’a pas d’exsudation et qui est gras, est méprisé.
Quoique très-beau, quoique bien rond, le plateau de balance descend quand rien n’est mis sur l’autre plateau ; mais, quoique courbe, quoique percé, le bout du fléau monte quand quelque chose est mis sur ce plateau.
Et ainsi :
Tout en ne donnant que de l’eau, le nuage devient l’ami du monde entier ; mais le soleil qui toujours étend ses rayons, on ne peut le regarder.
Sachant cela, ceux mêmes qui sont affligés de pauvreté doivent donner moins que très-peu, en temps et à personne convenables. Car on dit :
Une personne digne, une grande confiance et un don fait en lieu et temps convenables par des gens judicieux, cela suffit pour l’éternité.
Et quelques-uns ont dit ainsi :
Il ne faut pas avoir trop de désir, mais qu’on ne renonce pas au désir. A celui qui est dominé par un désir excessif il vient une crête sur la tête.
Comment cela ? dit la brâhmanî. Le brahmane raconta :
“La Femme qui échange du Sésame mondé contre du Sésame non mondé”
- Panchatantra 25