Si la fourmi n’est pas prêteuse,
C’est La Fontaine qui le dit,
On trouvera la preuve, en ce récit.
Qu’elle est tant soit peu vaniteuse.
Un matin, elle fit rencontre d’un ciron
; Et, prise de compassion
A la vue
De cet être chétif et de taille exiguë :
« Mon pauvre ami,
» Dit-elle, la nature
» Envers toi me parait injuste autant que dure :
» Tandis qu’à la fourmi
» Elle prodigue, sans mesure,
» Tous ses bienfaits ; parmi les animaux
» Et les plus forts et les plus gros,
» Donnant à notre race
Le premier rang et la première place
» Toi, par une amère disgrâce,
» Elle te condamnait à l’état d’avorton !
» Créature à peine ébauchée,
» Dans le règne animal elle t’a reléguée
» Au dernier échelon !
» Sur une feuille, solitaire,
» Tu passeras ta vie entière,
» Sans connaître jamais les splendeurs de la terre !
» Ah ! si tu pouvais, par hasard,
» Pénétrer, quelque jour, dans une fourmilière,
» Quel spectacle imposant frapperait ton regard !
» Tu verrais une ville immense,
» Munie en abondance
» De bastions, de fossés, de créneaux,
» Avec souterrains et canaux,
» Témoignage de la puissance
» Du peuple fourmillant ; en tous lieux ses travaux,
» Je le dis sans jactance,
» Sont œuvres de géants ;
» Et ses palais, ses monuments,
» De colossale architecture,
» Des siècles et du temps
» Peuvent braver l’injure ! »
Dame Fourmi venait de prononcer ces mots,
Quand un baudet, qui portait sur le dos
Un tas de vieux fagots,
Heurta du pied la fourmilière,
Et, sans plus de souci, fit voler en poussière,
Au gré des vents,
Palais et monuments,
Dont notre babillarde, hélas ! était si fière.
Ainsi de l’homme ! Il croit souvent,
Le soir, et sur la fin du terrestre voyage,
Qu’après un labeur incessant,
Il a construit le monument
Qui doit marquer ici-bas son passage,
Et, plus durable que l’airain,
Transmettre son nom d’âge en âge :
Le lendemain,
Si l’on veut retrouver la place
Où s’élevait le monument hautain,
Tout a péri ! le regard cherche en vain,
Et n’en peut découvrir la plus légère trace !
4 juin 1872.
Adrien-Théodore Benoît-Champy