Quoi, l’on te nomme ménagère ?
On vante ton génie et ton activité ?
Dès la pointe du jour au travail toute entière,
Tu profites, dit-on, des trésors de l’été,
Pour assurer ton existence
Et braver des frimas le règne redouté.
Projet très sage en vérité !
Mais ne fais-tu pas maigre chère ?
De ces travaux fameux, quoi ! c’est là tout le fruit ?
C’est de ce tas chétif que l’on fait tant de bruit ?
Ainsi, près d’une fourmilière,
Déclamait un mulot, harpagon de la terre,
Tout fier de l’immense butin
Qu’il augmentoit soir et matin.
Ça, dit-il, plus d’orgueil, ma voisine, ma mie,
Et ne va plus te croire désormais
Le Parangon de l’industrie ;
Je suis ton maître, et pour jamais.
Que l’homme te cite en exemple ;
Eh ! qu’importe à moi, s’il ne s’y connoit pas
Qu’il vienne, qu’il contemple
Mes greniers, mes vastes amas !
En effet, vanité bizarre !
Mulot sans but, sans cesse accapare ;
C’est son métier ; ce métier n’est pas rare
Ici bas.
Je crois à tes trésors, à leur magnificence,
Repart la doyenne fourmi ;
Mais bel ami,
Ces butins entassés dont tu fais tant jactance
N’excèdent-ils pas tes besoins ?
Ceux-ci ne sont donc pas la règle de tes soins ?
Cédant au vil instinct d’une aveugle avarice,
– Sans profit pour toi-même, entassant des larcins,
Ne voudrois-tu qu’affamer tes voisins ?
Alors, te punir est justice :
Aussi, l’homme n’y manque pas.
Il disperse en grondant tes stériles amas ;
Tandis que dans notre ménage,
Toutes, au même but, nous laissant concourir,
Il applaudit à notre ouvrage.
Nous amassons pour nous nourrir :
Toi, par amour du brigandage.
“La Fourmi et le Mulot”