Est-il une bonne action
De laquelle nous puissions dire :
« Elle émane d’un cœur que nulle passion
« N’assujettit à son empire ? »
Pour moi. vraiment je n’en crois rien.
Or, sans vouloir jamais en découvrir la cause ,
Ainsi qu’il se présente , il faut prendre le bien :
L’ignorance est parfois utile à quelque chose.
Si pourtant le hasard nous faisait pénétrer
Le coupable motif d’une belle conduite,
Nous devrions encore feindre de l’ignorer ,
De peur qu’un plus grand mal n’ensoit un jour la suite.
Un riche, qui, par vanité,
A soulager le pauvre employait sa fortune,
Étouffait de bonheur, lorsque, dans sa commune,
Chacun vantait tout haut sa libéralité.
Mal penser, bien agir, c’était tout un, qu’importe?
Nul, grâce à lui, depuis longtemps
N’apercevait plus à sa porte
Cette foule de mendiants
Qui font japper les chiens et gémir les passants.
Chacun lui payait en louange
Les secours qu’il en recevait.
Mais un jour il perdit au change,
Car un des malheureux que sa main secourait,
Venant de faire un héritage,
Changea soudainement de ton et de langage:
Il saisissait toujours la moindre occasion
De lancer contre lui quelque trait de satire ;
Son éternel refrain était : « Qui pourrait dire
« Quel bien il fit jamais sans ostentation ? »
Un homme officieux, dans l’espoir d’un salaire,
Au richard étonné rapporta ces caquets.
Son cœur si libéral se gonfla de colère :
« Je jure par le ciel, dit-il, que désormais
« Nul ne sentira plus le prix de mes bienfaits. »
Du toit de l’indigence il oublia la route ;
On eut beau le prier, son serment fut sa loi ;
Aux plus nécessiteux même il fit banqueroute.
Qui t’approuva? Ce n’est pas moi.
De tout ceci, lecteur, je crois qu’on peut déduire
Cette importante vérité,
Qu’envers nos bienfaiteurs nous devons nous conduire
Tout aussi bien dans la prospérité,
Que lorsqu’il nous fallait implorer leur bonté :
A tant de malheureux un seul ingrat peut nuire!
“La Générosité interrompue”