« Pourquoi donc aujourd’hui sortons-nous si matin ?
Disait une génisse en courant vers sa mère ;
Et même, contre l’ordinaire,
Vous marchez un assez bon train.
— Ma fille, je vais voir la chèvre, ma voisine :
Un loup, qui vient ici rôder à la sourdine,
Lui prit hier ses deux enfants ;
Voulant les arracher à la bête cruelle.
On dit qu’elle en reçut une atteinte mortelle ;
Et je cours lui porter de simples restaurants.
— Quoi ! la chèvre du voisinage
Exciterait votre pitié ?
Déjà vous auriez oublié
Que tous les jours dans notre pâturage
Elle vient nous braver, nous causer du dommage
Pillant, volant, broutant notre pacage !
Le canton retentit toujours de vos débats.
Aller la visiter, et même dès l’aurore !
Si j’osais, je dirais que vous dormez encore.
Chez elle, croyez-moi, ne portez point vos pas ;
Elle se vante enfin d’être votre ennemie.
— Il est vrai : mais, ma chère, elle perd ses petits,
J’oublierai tous ses torts, en écoutant ses cris ;
Car déjà je suis attendrie
Sur son danger, sur sa douleur ;
La laisser sans secours, cela m’est impossible :
Mon enfant, c’est l’effet que produit le malheur ;
Il éloigne de nous le méchant, l’insensible,
Il en rapproche le bon cœur. »
“La Génisse et sa Mère”