La girafe, bien loin des régions brûlantes
Où ses jours avaient commencé,
Excitait au jardin des plantes
Les transports d’un public autour d’elle empressé.
Dans un étroit enclos qu’enfermait un treillage,
Elle errait d’un air négligent.
Les spectateurs disaient : Quel superbe pelage !
Quel amble gracieux ! quel œil intelligent !
Un pauvre hanneton, perdu dans le feuillage,
Entendit ce concert, et l’insecte obligeant
Y voulut joindre aussi son modeste suffrage.
Pour lui rien n’était plus aisé,
Car la tête de l’Africaine
Atteignait la cime lointaine
Sur laquelle il était posé.
Il bourdonne ces mots : Haute et puissante dame,
J’admire votre éclat sans en être envieux.
Quand tout un peuple vous proclame
La souveraine de ces lieux,
Quel plaisir, quel orgueil doivent combler votre âme !
La girafe répond : — Jeune étranger, merci.
Certes, la bienveillance a dicté ton hommage :
Mais crois-tu qu’il me dédommage
Des chagrins que j’éprouve ici ?
Non : la louange m’importune ;
J’appréhende le bruit des badauds en émoi.
Les grâces, la beauté qu’ils célèbrent en moi,
Sont cause de mon infortune.
Elles ont sur mes pas attiré les chasseurs
Dans les déserts où j’étais née.
Elles ont séparé de celle de mes sœurs
Ma misérable destinée.
Parce que je suis rare entre les animaux,
Au sol natal on m’a ravie ;
Une prompte agonie achèvera mes maux,
Et j’aurai froid toute ma vie.
Toi, du moins, aux rayons de ton soleil natal,
Tu réchauffes en paix tes élytres dorées,
Et tu pourras brouter jusqu’au terme fatal
Les feuilles et les fleurs que Dieu t’a préparées.
Va, les grandeurs et la beauté,
Ces vains objets d’idolâtrie,
Compromettent souvent notre sécurité.
Applaudis-toi de vivre au sein de ta patrie,
Dans une douce obscurité.
“La Girafe et le Hanneton” Emile de la Bédollière, 1812 – 1883.