2ème lauréat du concours de fables Jean de La Fontaine de Château-Thierry 2017 (02)
A Bornéo, une rainette empoisonnée
Vivait en paria, ignorée et rejetée,
A la fois des siens, par jalousie et rancœur,
Et des prédateurs de part ses vives couleurs.
Elle se dirigea vers une mission locale,
Arrivée tout droit d’un pays continental,
Se présentant à elle, des larmes plein les yeux,
Sûre de trouver de l’aide en la maison de Dieu.
Tous les gens en émoi par la situation
Prirent la grenouille sous leur protection :
“Apportons-la au curé de notre paroisse,
Qu’il trouve un lieu pour que tranquille elle coasse.”
L’homme D’Église prit le batracien sous son aile
Pour le faire échapper à son destin cruel.
Il nourrit, il blanchit et pour loger la bête,
il lui fit don de la cuvette des toilettes.
Une nuit passa et quand on prit des nouvelles,
On jugea le contexte peu conventionnel ;
Choqué que le curé n’ait pas pu dégoter
Un lieu plus adapté que les W.C.
Le soir venu, l’abbé crut bon de transférer
La petite bestiole dans le bénitier,
Heureux que ses fidèles se sentent soucieux
Du bien-être de l’animal malchanceux.
Le lendemain matin, à l’heure de l’office,
Où vinrent bourgeois, prolétaires et novices,
On fut surpris de voir chose si insolite :
Une grenouille nageait dans de l’eau bénite !
On fustigea ce choix, cela étant gênant
D’exhiber aux yeux de tous, un indigent.
Sans solution, le pasteur dit aux impétueux
Qu’ils n’avaient qu’à accueillir la bête chez eux !
Après plusieurs débats et moult négociations,
On vota qu’il ne pouvait en être question.
On se mit d’accord et on jugea que, de fait,
L’endroit le mieux restait encore les toilettes !
Voilà ce que sont les gens bien intentionnés :
Toujours au premier plan quand il faut dénoncer.
Mais s’il faut, dans leur décor, y mettre la misère,
On ne veut pas la voir devant mais plutôt derrière !
FRONTCZAK Emmanuel