Camille Viala
Une riche prairie, encore verdoyante,
Se couvrait à plaisir d’une mousse charmante,
Aussi douce et souple à la main,
Qu’agréable et belle à la vue ;
Elle s’aimait ainsi vêtue,
Désertant son étroit bassin
L’eau, de ce pré jadis amie,
N’errant plus d’un cours incertain,
Sur la mousse était endormie :
Lo jonc aussi s’y prélassait,
Y plongeait ses pattes tontines,
Et superbe, au ciel élançait
Ses tiges aux chues aiguës.
Mais un jour inopinément,
Une herse, rude instrument,
Attaque ce pré vivement,
Partout de sa dent acérée
Cette prairie est déchirée.
L’infortunée alors se lamente et se plaint
Du sort trop cruel qui l’atteint.
« Cette mousse est si gracieuse,
» Et si moelleuse, et si soyeuse,
» C’est une robe de velours !
» Et ces joncs… sont de beaux atours !
» Et celle onde calme, endormie,
» Hier si pétulante encor,
» En dormant dépose un trésor
» Aux pieds de chaque plante amie.
Perdrai-je donc tant de douceur ?
Ainsi s’exhalait son malheur !
Son malheur ?… En effet, elle est infortunée,
Elle ne comprend plus, la pauvre abandonnée,
Que ce calme effrayant ou son onde s’endort,
Où s’endort chaque plante, est un calme de mort.
Ce pré devenu sybarite,
De la déplorable torpeur
Qui chaque jour le débilite,
Ne voit pas le calme trompeur !
La dent cruelle de la herse
En le déchirant le bouleverse,
Mais ce sarclage est un sauveur ;
Il rappelle l’air et la vie
Au cœur de la plante flétrie,
Qui reprend un pouvoir depuis longtemps perdu ;
Le jonc, la mousse ont disparu,
Et l’eau s’animant, fuit, limpide,
Vive, pétulante et rapide.
Ainsi l’homme souvent a repris sa vigueur,
Quand du chagrin la herse a bouleversé son cœur,
Camille Viala