La Laitière et le Pot au lait, analyses de MNS Guillon – 1803.
- La Laitière et le Pot au lait.
MM. de la Mothe et Dardenne citent particulièrement cette fable comme un parfait modèle de naïveté. Voyons si c’est en dire trop.
(1) Perrette, nom de costume. Ce nom de laitière réveille des idées riantes, mais simples, qui veulent être rendues, moins avec, la subtilité du raisonnement et de la réflexion, que par l’inspiration de la nature et sa fidelle représentation.
Sur sa tête ayant un pot au lait, Bien posé sur un coussinet.
(2) Prétendait arriver. Est-ce que sa prétention sera trompée ? Ce mot prépare avec adresse le dénouement.
(3) Sans encombre. Vieux mot qui va très-bien dans an récit de scène champêtre. C’est dans les campagnes que le vieux langage se soutient le plus long-temps. Et ne ferez en ce monde qu’encombre, a dit Olivier la Marche ) poème intitulé le Parement et le Triomphe des Dames ).
(4) Légère et court vêtue, elle, etc. Voilà bien ce simplex mundities d’Horace; simplicité unie à la décence, qui tient le milieu entre la recherche et la bassesse.
(5) Achetait un cent d’œufs, faisoit triple couvée. « La naïveté , a-t-on dit , est l’expansion d’un cœur enfant, ou d’un esprit ingénu qui expriment de confiance tout ce qui vient les frapper , et de la manière dont cela se présente. » D’après cette règle, voyons quel doit être le langage de notre laitière. Pleine d’espérance dans le produit de son lait, elle rêve, elle imagine, quoi ? des trésors ? Non ; mais ce qu’elle voit posséder à ses compagnes, mais ce qui fait la richesse de la basse-cour, un cent d’œufs, des poulets, etc.
(6) Il étoit, quand je l’eus , de grosseur, raisonnable. Elle se croit déjà si bien en possession, qu’elle a calculé jusqu’à l’âge de son Cochon , qu’elle a mesuré sa taille , quand je l’eus. Un pinçon déjà fort, et volant bien et beau, etc.
Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour−là, pour être plus agile
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre Laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l’argent,
Achetait un cent d’œufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.
” Il m’est, disait−elle, facile
D’élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;
Il était, quand je l’eus, de grosseur raisonnable ;
J’aurai, le revendant, de l’argent bel et bon ;
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? “
Perrette là−dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La Dame de ces biens, quittant d’un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l’appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
……………………
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait−il que je rentre en moi−même ;
Je suis gros Jean comme devant.
(8) Vu le prix dont il est, une Vache et son Veau, Dont il est, suivi de deux mots de genre différent, devroit être an pluriel. Ainsi ce vers isolé ne seroit pas à l’abri de la critique : mais rapprochez-le du vers qui vient après: la faute disparoit à côté de l’image , comme une ombre légère qu’absorbe l’éclat d’une lumière plus vive.
(9) Le lait tombe : adieu Veau, Vache , Cochon , Couvée, Deux remarques sur ce vers. 1°. Sa coupe vive et pittoresque; 2°. l’exactitude analytique, dans la série de ces biens imaginaires. — Couvée, rime mal avec transportée,
(10) La dame de ces biens, etc. La naïveté n’exclut pas la délicatesse, pas même l’ironie, pourvu qu’elle soit fine et légère : on le voit à cet hémistiche. La fortune ainsi répandue est heureux et hardi, pour dire : la fortune qui lui revenoit de ses biens ainsi répandus.
(11) Qui ne fait des châteaux en Espagne ? On n’est pas d’accord sur l’origine de cette expression proverbiale. ( Voyez le Dictionnaire de Trévoux, et Pasquier , Recherches , Liv. VII. chap. 15. ) L’opinion la plus vraisemblable est celle-ci : Vers l’an 700 , les Maures ayant passé en Espagne , bâtirent à chaque pas des châteaux dont on voit encore un grand nombre. Malgré cette précaution, ils ne purent s’y maintenir. Quand on dit bâtir des châteaux en Espagne, où il y en a déjà trop, on veut dire une chose ridicule et inutile. On connoît cette épigramme :
Lorsque je vais à la campagne,
Je fais toujours de grands projets ;
Poètes sont assez sujets
A bâtir châteaux en Espagne,
Et bâtissent à peu de frais.
(12) Pichrocolle , prince colère, ambitieux; visionnaire, dans Rabelais (Gargantua , L. I. ch. 33 ). Pyrrhus. Voyez sur ce roi d’Epire la première épître de Boileau.
(13) Je suis Gros-Jean, comme devant. Expression burlesque mise en usage par Rabelais ; pour désigner un homme de néant, (Pantagr. second prolog. du Liv. IV. tom. IV. p. 47)
On a dit que la fable est le vase dont la moralité est la liqueur. ( Dardenne. ) Si cela est, la moralité de cette fable est l’ambroisie dans la coupe d’Hébé. (La Laitière et le Pot au lait)