Vénus par deux amours élevés à Paphos,
Quand vint pour eux le temps de la galanterie,
Fit tirer une loterie
Dont elle-même avait déterminé les lots
D’après les goûts, trop souvent faux,
Du plus bel âge de la vie.
Les plaisirs de la volupté
Formaient le premier lot, le lot en apparence,
Par deux fils de Vénus au sortir de l’enfance,
Le plus justement convoité.
Le second lot était à ce qu’on m’a conté,
Les doux rêves de l’espérance.
De celui-ci leur cœur paraissait peu tenté ;
Mais il fallait courir la chance :
Chacun alors de son côté
Dans le sort met sa confiance :
Chacun en soi goûtant d’avance
L’espoir d’être le mieux traité,
Rit à Vénus, et tire avec impatience.
A l’aîné des amours le premier lot échoit.
Il regarde en pitié son frère.
On admire, on s’étonne à Paphos, à Cythère
De voir l’aveugle Sort favoriser ce droit
Que nous appelons droit d’aînesse.
Mais Vénus, qui s’y connaissait
Mieux que toute cette jeunesse,
Du Sort envers ses fils était loin en secret
De tant admirer la sagesse ;
Même on dit que, pour le cadet
Ayant quelque peu de faiblesse,
De son lot dans le cœur elle s’applaudissait,
Bien que l’eût en second placé cette déesse.
Après un ou deux mois l’ainé vint en effet
(Tant au sein du bonheur on désire sans cesse !)
A se trouver du sien au fond si satisfait.
Si rassasié, parlons net,
Qu’il ne put s’empêcher d’ambitionner l’autre.
Du plaisir le plus vif, du bien le plus parfait
Quand nous jouissons à souhait,
Cette ambition est la nôtre.
En tout genre de volupté
Les doux rêves de l’espérance
Sont le lot de l’humanité :
Le dégoût, la satiété
Nous attend à la jouissance ;
Et le bonheur finit où le plaisir commence.
“La Loterie de Vénus”