À Madame la baronne Delphine de Martineng.
Un marabout, des Africains rivages
Rapporté dans nos climats,
Végétait malheureux sous nos âpres frimas.
Regrettant ses brûlantes plages,
Triste et rêveur, nuit et jour il pensait
Au beau ciel qui le vit naître !
À son pays ! À ses rochers ! Qui sait ?
À ses amis aussi peut-être !
À ses amis qu’il a perdus,
Et qu’il ne reverra plus !
À sa jeune et sauvage amante,
Objet de sa flamme constante !
Car l’amour, qui subjugue tout,
Enflamme aussi le cœur d’un marabout.
Amour, amour, ton empire est le monde :
Tu règnes dans les airs, sur la terre et sous l’onde !
Par la douce hospitalité,
Que son triste sort intéresse,
Il était choyé, visité ;
Et poissons, mets de toute espèce,
À ses désirs, tout était prodigué ;
Mais il n’en était pas plus gai.
Pour comble, hélas ! D’infortune,
Des moineaux, race assez commune,
Ajoutaient à son ennui ;
En l’insultant et se moquant de lui.
— Oh ! Qu’il est laid! Oh! La vilaine bête !
Disait l’un ; voyez donc quel bec !… La belle tête !
— Veux-tu t’aller cacher, vieux marabout,
Disait un autre. Enfin la pauvre bête,
Lassée et poussée à bout,
Leur dit, d’un ton honnête :
— Messieurs, je sais que je ne suis pas beau ;
Mais ici-bas chacun a son partage :
Le caquet est pour le moineau ;
Moi, de mon blanc et vaporeux plumage,
J’embellis et j’ombrage
Le front charmant de la beauté ;
Je suis au moins de quelque utilité.
Qui de vous a cet avantage ?
À ce ton, à ce langage,
Qui n’était pas d’un sot,
Moineaux ne répondirent mot,
Respectons le malheur ; bien souvent le mérite
Sous les dehors les plus ingrats habite.
Chez vous, qui preniez soin de sa triste existence,
Delphine, un jour, je connus mon héros,
Objet d’une bienveillance
Qui compatit à tous les maux,
Des humains plus pourtant encore que des oiseaux ;
Chez vous, dont la grâce charmante
Sait, par d’ineffables secrets,
Près de l’humanité souffrante,
Doubler le prix de vos bienfaits.
“La Marabout et les Moineaux”