La mare, un jour, dit au ruisseau ;
« Où cours-tu donc? — Je vais à la rivière,
Lui porter ce filet d’eau.
— Pauvre insensé ! ton erreur est grossière.
Et pourquoi t’épuiser? Enfant, écoute-moi :
Dans notre siècle, il faut d’abord penser à soi. «
Cette morale est commode.
On dit même aujourd’hui qu’elle est assez de mode.
La mare sur ce point parlait éloquemment;
De l’égoïsme vrai symbole,
Elle prêchait d’exemple autant que de parole,
Et conservait ses eaux très-amoureusement.
Le ruisseau faisait le contraire :
A la prairie, à la plante, à la fleur,
Par ses eaux il donnait la fraîcheur salutaire.
Faire du bien, n’est-ce pas le bonheur?
La fortune sans lui n’est qu’un triste avantage.
Cette mare avait tort, et le ruisseau fut sage.
N’allons pas nous étendre, et revenons au fait.
L’été vint; le soleil de sa chaleur féconde
A tout ce qui respire octroya le bienfait,
Et darda ses rayons sur cette mare immonde.
Elle, couvant ses eaux, enfanta tout d’abord
Des reptiles sans nombre, au corps noir et jaunâtre;
Et de son sein fangeux, couvert d’une eau verdâtre,
Elle exhalait le poison et la mort.
La peste s’ensuivit dans toute la contrée.
Heureusement un vent souffla du nord,
Et la mare expira clans sa fange exécrée.
Mais que devint le ruisseau bienfaisant?
Qui vint à son secours dans ce péril pressant?
Il eut un abri tutélaire
Sous le feuillage épais du chêne au tronc noueux,
Dont il baignait la souche séculaire.
Le soleil, le voyant, en devint amoureux.
Et les petits oiseaux, sur sa rive ombragée
Venaient pour boire à petite gorgée.
Près de son bord chantait le pâtre du hameau.
La rivière à la mer portait son courant d’eau
Qui, devenu vapeur légère,
Retournait en nuage à la source, sa mère.
Chacun recueillera ce qu’il aura semé :
Faites du bien, et vous serez aimé.
“La Mare et le ruisseau”