A l’heure où le soleil nous cache sa lumière ,
Un Vieillard à pas lents regagnoit sa chaumière ;
Quoiqu’opprimé du poids des ans,
Il portoit sur le dos un faix des plus pesans ;
En un si triste état il se couche par terre,
Se plaint long-temps de sa misere ,
D’une infinité de malheurs
Et des plus cuisantes douleurs.
Il faut, dit-il, que je travaille,
Chaque jour du matin au soir,
Pour payer mon loyer, ma taille ;
Hélas ! je couche sur la paille
Et ne mange que du pain noir,
Encor n’ai-je jamais la maille ;
Enfin réduit au désespoir,
Ô Mort ! s’écria-t-il, que tu me parois lente
A venir terminer mon martyre & mes jours.
La Mort aussi-tôt se présente ;
Je viens, dit-elle, à ton secours,
Vieillard, que faut-il que je fasse ?
Veux-tu que j’aiguise ma faux?
Non, non, répondit-il, j’ai trop peur de ta face,
Retire-toi bien loin, je souffrirai mes maux.
Cela tient un peu du prodige :
On se plaint toujours de son sort,
Et quelque mal qui nous afflige,
On ne craint rien tant que la Mort.
“La Mort et le Vieillard”
La Mort et le Bucheron, par La Fontaine
Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire
C’est, dit-il, afin de m’aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.