Une mouche aperçut une jatte de crème.
Bon ! se dit l’insecte en lui-même,
Si mes yeux ne s’abusent pas,
Voici qui me promet un excellent repas !
A ces mots, notre mouche en bourdonnant s’attable
Sur le bord du lac argenté,
Puis avec sensualité
Pompe la liqueur délectable.
Balthazar en personne en eût été jaloux.
Outre mesure elle prolonge
Un régal qui lui semble doux ;
Et bientôt, se lassant de boire à petits coups,
Dans le vase de lait l’imprudente se plonge.
Elle n’en put sortir ; des ailes et des pieds
En vain elle essaya de ramer vers la rive.
Le poids de ses membres mouillés
Entraîna dans les flots la pauvre fugitive !
Méditez cet exemple, ô trop nombreux gourmands,
Dont l’avide estomac se charge d’aliments ;
L’homme dont les banquets tiennent l’âme occupée
Use dans les excès son corps et son esprit.
La gourmandise, un sage autrefois nous l’a dit,
Est plus mortelle que l’épée.
“La Mouche gourmande” Emile de la Bédollière, 1812 – 1883.