Mon voisin le compositeur
Écrivait tristement un opéra comique.
Tous ses morceaux n’étaient que du bruit sans valeur,
Il en cherchait la cause avec ardeur,
Lorsqu’il entend dame Musique
Aux Paroles, d’un ton moqueur,
Reprocher son chant protecteur
Qui les soustrait parfois aux dards de la critique.
Rendez grâces à ma bonté,
Leur dit-elle, par moi vous êtes quelque chose.
Malgré le sens banal, malgré la nullité
De vos vers, qui souvent ne sont que de la prose,
Profitant des succès que moi seule je cause,
Vous volez sur mon aile à l’immortalité !
Les Paroles, de leur côté,
Disaient : Finiras-tu ta gamme ?
Tu chantes faux, ma chère, à tort ta voix réclame,
On ne te doit rien, Dieu merci,
Si tu peux nous servir, nous te servons aussi,
Car si tu n’as point la parole,
Réduite au langage frivole,
Qui s’éteint dans l’oreille et ne va pas au cœur,
Du concerto, de la sonate,
Dont l’éternel ramage endort plus qu’il ne flatte,
Tu viens ennuyer l’auditeur.
Va, Musique, sans nous tu serais bien à plaindre,
Tu nous gâtes souvent, mais si tu peux atteindre
A l’honneur d’éveiller quelques émotions,
C’est lorsqu’aux sentiments que nous avons su peindre
Tu daignes emprunter tes inspirations.
Ces Paroles étaient par trop mauvaises langues ;
La Musique, voulant répondre à leurs harangues,
Fit un vacarme assourdissant,
De nos jours c’est son habitude.
Si bien que l’Amphion, troublé dans son étude
Par ce conflit toujours croissant,
Sut réunir ces querelleuses,
Les changea désormais en sœurs harmonieuses ;
Et de la paix qui s’opéra
Soudain naquit un opéra
Dont le succès devint immense.
Dans les troubles civils lorsqu’un peuple s’élance,
On entend des partis la discordante voix
Insulter l’harmonie, anéantir ses lois ;
Honneur alors au puissant politique,
S’il peut, après un noble effort,
Ramener au parfait accord
Les Paroles et la Musique.
“La Musique et les Paroles”