Entre la Corneille et la Pie,
Malins propos jadis, par charité rendus,
Avaient semé la zizanie.
La Corneille n’y songeait plus.
Mais, au fond de son cœur, Margot couvait rancune ;
Un jour donc, voyant sur la brune
Maître Vautour, ventre affamé,
A souper pour toute fortune
Croquer un merle non plumé :
« Salut, Seigneur ! dit de loin la commère ;
« Bon appétit, et surtout bonne chère !
« Souper de roi (proverbe accoutumé).
« A propos, comme nous, à ma sœur la Corneille,
« Rendrez-vous en ami visite un beau matin ?
« Chacun y court. Son nid, véritable merveille,
« Est l’honneur de l’orme voisin.
« Il est vrai que la babillarde
« Sur vous comme sur moi s’est permis maint caquet ;
« Les Vautours par son bec ont passé, s’il vous plaît ;
« Mais en parler, moi ! Dieu m’en garde !
« Margot est bonne, point bavarde ;
« Et j’ai lu dans Dom Perroquet
« Cette leçon qui vous regarde :
« Il est beau d’aimer qui nous hait.
« Allez donc voir, Seigneur, la nouvelle accouchée.
« Non demain, mais ce soir. Oh ! l’aimable nichée !
« Les petits sont mignons, charmants, beaux à ravir,
« Délicats en tout point, semblables à leur mère :
« Car elle est belle et, ce qu’on ne voit guère,
« La ponte et la couvée, au lieu de la maigrir,
« Engraissent la maman, et la font rajeunir. »
Notre soupeur de merle, à ce perfide éloge,
De son estomac creux sent redoubler la faim.
« Je souperai deux fois, » dît-il ; puis il déloge,
Et le voilà rendu, par le plus court chemin,
De l’endroit où l’on jeune à l’endroit du festin.
C’est où la Pie attendait la pauvrette :
Le sire, en moins de rien, vous eut fait table nette.
Tout y passa, tout fut occis,
Mère et petits ;
Sa Majesté n’en laissa miette.
Craignons la langue des méchants
Leur odieuse hypocrisie
Et, pour nous perdre chez les grands,
La louange et la calomnie.
“La pie, la corneille et le vautour”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824