Parfois plusieurs valent moins qu’un.
Dans un poulailler peu commun,
Sont neuf poules belles à peindre;
N’ayant qu’un coq pour elles neuf;
Et sans en être plus à plaindre,
Le coq étant toujours tout neuf.
Tous les jours nouvelles couvées ;
Éternel caquet d’accouchées;
On n’entend que poulets chanter;
On ne voit partout que nichées
De poussins prêts à voleter.
Une poule de par le monde
Crut, prenant maints coqs à son choix.
Devenir seule aussi féconde
Que toutes ces neuf à la fois.
La sotie, bien que mal en plumes ,
Était fière sur son pailler;
Elle y bravait lois et coutumes,
Et, par un abus singulier,
D’un coq, au lieu d’être contente,
Elle en voulut avoir quarante.
Le coq aux neuf poules feignit
D’applaudir au nouveau ménage :
Mais au fond le sultan craignit
L’incursion du voisinage.
La disette et l’occasion,
Grandes faiseuses de larron,
N’annonçaient que honte et ruine.
Que fait mon coq ? Il entre un soir,
Pian-piano dans le dortoir
De la sultane Messaline ;
Et là, muni d’un bon rasoir,
Légèrement à (a sourdine,
Et sans qu’aucun d’eux le sentît,
Il ôte à messieurs les Quarante
Le double morceau qui les fit
Tout ce qui fait que le coq chante.
Chacun d’eux s’éveilla chapon :
Dont cuit à la pauvre volaille,
Qui, depuis ce temps-là, ne pond
Ni ne couve aucun œuf qui vaille.
Démasque-nous, me dira-t-on,
Les héros de l’allégorie.
Oui-da : le coq, c’est Apollon,
Et la poule, l’Académie.
“La Poule aux quarante Coqs”
- Alexis Piron, 1689 – 1773