Jean-Pons-Guillaume Viennet
Poète, fabuliste XVIII° – La Poule le Renard et le Chasseur
Une poule paissait et ne songeait qu’à paître :
Un renard fond sur elle, et, sans perdre un instant,
Lui donne quelques coups de dent.
La poule crie; et, dans ce cas, peut-être
Chacun de nous en aurait fait autant,
Quand un chasseur vient à paraître.
Il ajuste mon drôle, et la charge qui part
Casse l’aile à la poule et l’épaule au renard.
Les voilà gisants sur la paille,
Et gémissant tous deux de leur funeste sort.
« C’est toi, dit le renard, misérable canaille,
C’est toi qui me causes la mort.
— Grand merci ! dit la poule, en faisant un effort
Pour s’éloigner encor de la bête ennemie-,
Je devais souffrir sans crier.
Peut-être vous remercier.
Et me laisser croquer par Votre Seigneurie. »
Le chasseur 6nit l’entretien.
Il les prit tous les deux, mit la poule à la broche,
De la peau du renard se fit une sacoche,
Et donna la bête à son chien.
Ma poule, c’est le peuple, éternelle victime
De qui le dévore ou l’opprime,
Et fort souvent aussi de qui veut le venger.
Mon renard appartient, dût-on m’en faire un crime,
Au vieux comme au nouveau régime.
Quant à celui qui mange ou qui fait tout manger,
C’est l’ennemi, c’est l’étranger;
Chacun le nomme et maudit sa visite;
Je vous conseille, en bon Français,
De le renvoyer au plus vite,
Et qu’il n’y revienne jamais.
Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868