Aussitôt que le jour parut,
Pendant que dormait la cigale,
La fourmi toujours matinale,
Se leva bien vite, et courut,
Pour voir les dégâts de la veille.
La pluie avait cessé de tomber. Le matin,
Que l’astre du jour ensoleille,
Séchait les champs et le chemin.
Aussi la pauvre ménagère
Eut retrouvé bien vite au milieu du limon
Les débris de la fourmilière…
Ce qui restait, hélas! de sa chère maison !
Tout est défoncé, tout est vide :
L’office et le cellier, et le garde-manger,
Où toute la soirée elle aimait à ranger,
Trier, empiler, étager,
Sans autre passe-temps que ce plaisir solide !
Ainsi le fruit de tant de soins,
Qui devait de l’hiver combler tous les besoins !
Submergé, dispersé pendant la nuit dernière,
S’étale aux quatre vents sur le bord d’une ornière.
« Allons », dit-elle, « au plus pressé. »
Et tout de suite, avec un grand courage,
Bien qu’elle ait le cœur oppressé,
Elle se remet à l’ouvrage,
Entreprenant le sauvetage
Des morceaux
Qui lui paraissent les plus beaux.
Un peu plus tard, dame cigale
Reprise enfin par sa fringale
Entrouvrit ses gros yeux, encor pleins de sommeil.
Aussitôt la fourmi, qui guettait ce réveil,
Lui dit gaîment : allons commère,
A table!… vous voyez que j’ai mis le couvert.
Notre repas sera rustique ;
Mais j’espère bien qu’au dessert
Vous me ferez de la musique.
Artistes et bourgeois, si nous faisions comme eux,
Ne serait-ce pas pour le mieux ?
Ainsi les marchands de Florence,
Des artistes du temps magnifiques amis,
En l’honneur de la Renaissance,
Tenaient toujours le couvert mis.
“La revanche de la Fourmi”